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José Benazeraf : sexe et divagation politique

Le 23/06/2009 à 15:02
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José Benazeraf : le chaînon manquant entre Jean-Luc Godard et Max Pécas Aussi incroyable que cela puisse paraître, José Benazeraf est sans doute avec Jean-Luc Godard le cinéaste issu de la Nouvelle Vague à la carrière la plus insolite. Dit ainsi, cela semble hautement improbable en regard de la filmographie singulière de JLG, précieux théoricien du cinéma ayant su passer avec brio du coq à l'âne, de films intransigeants faussement populaires à des tracts politiques sur pellicule. Seulement, combien de cinéastes peuvent-ils se targuer d'avoir débuté par des œuvres résolument ancrées dans la Nouvelle Vague – dialogues très écrits, complexité des rapports amoureux, jeunesse désœuvrée etc. – pour se diriger par la suite vers des films érotiques iconoclastes et anarchistes puis carrément œuvrer dans la pornographie (avec des films aux titres aussi exotiques que Le Majordome est bien monté, Le Cul des mille plaisirs ou plus explicite Du foutre plein cul) ? Mais pauvres petits cochons que nous sommes, des huit films édités en deux coffrets par K-Films, ce ne sont pas les films sexuellement débridés du cinéaste qui ont été privilégiés mais ses premiers essais mixant de façon foncièrement déconcertante cinéma populaire – dans lequel se rencontrent gangsters, espions et femmes peu frileuses – avec un cinéma plus secret où se mêlent désirs charnels inavouables et inassouvis.

José Benazeraf : le chaînon manquant entre Jean-Luc Godard et Max PécasJosé Benazeraf : le chaînon manquant entre Jean-Luc Godard et Max PécasL'Eternité pour nous

Le premier coffret couvre les années 1961 à 65 et rassemble L'Eternité pour nous (titre initialement opté par le cinéaste avant que le distributeur ne le change en Le du Cri de la chair), Le concerto de la peur (exploité sous le titre La Drogue du vice), La Nuit la plus longue (exploité sous le titre L'enfer dans la peau) et L'enfer sur la plage. Quatre films qui révèlent un cinéaste dont l'univers pourrait se définir au croisement d'un Antonioni – avec qui il partage ces grands thèmes que sont la solitude et l'incommunicabilité – et d'un JLG aux dialogues très (trop) écrits. Une préciosité des dialogues qui s'explique par le fait que comme le réalisateur du Mépris Benazeraf met un point d'honneur à libérer la puissance du mot quitte à ce que celui-ci paraisse rébarbatif ou pire tarte. José Benazeraf appartient ainsi au club très fermé des cinéastes qui tour à tour envoûtent et agacent, nous charment par leur ténacité à se distinguer du tout venant pelliculaire mais qui à force se caricaturent eux-même. Particulièrement en cause, sa rigueur rythmique (plus qu'esthétique) poussée parfois jusqu'à une extrême dilatation temporelle privilégiant silences lourds de sens et regards profonds soudant l'intime. Une intransigeance (parfois) ensorcelante (souvent) irritante et écœurante, le cinéaste ne parvenant à rendre palpable une quelconque tension au sein de l'image, sur la bande sonore ou même dans la direction des comédiens (très bressonniens pour le coup).


Fascinant aussi ce couplage d'un cinéma intellectualisant avec un cinéma plus roturier, érotique - femmes voluptueuses enclines au saphisme ou à un sado-masochisme gentillet - dont la valeur commerciale est sans doute tout aussi importante que sa portée contestataire. Un désir de cinéma libéré des codes et des conventions imposées par l'industrie et qui rappelle dans une certaine mesure les bisseries (terme ici employé de façon affective) de Jess Franco desquels jaillissaient sans crier gare de brillantes fulgurances poético-expérimentales.

Deux films tirent leur épingles du jeu. Le drame amoureux L'Eternité pour nous et son histoire de coeur aux fondements certes classiques (un homme, une blonde et au centre une brune) aux déchirements passionnels vraiment tartes (la séquence sur la plage où Jean-Marc annonce à Maria/la brune qu'il s'en va et à ce titre invraisemblable), ainsi que le huis-clos sensuellement magnétique La Nuit la plus longue dont on sait qu'elle est longue parce que... nous entendons l'incessant et obsédant tic-tac de l'horloge ! C'est ça La Nuit la plus longue : la rencontre entre un univers de série B américaine (une jeune femme se fait kidnapper par deux voyous) et quelque chose de plus flottant, de moins terre-à-terre, qui n'hésite pas à user des artifice les plus grossiers pour arriver à ses fins. « Il est de plus en plus évident que Monsieur Benazeraf est l'un des rares cerveaux de ce siècle à être préoccupé par la notion si difficile d'éternité » tournait joliment à l'époque Positif peut-être pour indiquer que c'est long et chiant.

José Benazeraf : le chaînon manquant entre Jean-Luc Godard et Max PécasJosé Benazeraf : le chaînon manquant entre Jean-Luc Godard et Max PécasLa Nuit la plus longue

Une petite pensée tout de même pour le stupéfiant premier quart d'heure de L'enfer sur la plage, montage triangulaire incompréhensible (on bénit la présence du carton introductif sans qui nous serions littéralement largués) entre des plaisanciers se prélassant sur leur bateau sans se douter que sur la côte une bande d'espions les tient en joue avec un bazooka, le tout sous l'oeil impuissant d'une innocente jeune femme. Alors que la tension devrait être à son comble, le cinéaste passe pendant près d'une quinzaine de minutes d'un groupe à un autre (les plaisanciers, les espions, la jeune femme, les plaisanciers, les espions, la jeune femme, les plaisanciers, les espions, la jeune femme... et ainsi de suite) sans que rien ne se passe. Il a pas peur JB ! Lâchant très rapidement son histoire d'espionnage, pour se consacrer entièrement au ménage à quatre (sic !) qui se forme, Benazeraf valu à l'époque à son film d'être taxé de « moralement dangereux » par l'office catholique et ce « en raison de la fausseté des thèses exposées, et par le climat malsain, licencieux et désespéré ».


Moins homogène, le second coffret quant à lui regroupe des films plus disparates réalisés entre 1966 et 81 à savoir Joë Caligula, Le désirable et le sublime, Anthologie des scènes interdites des films de José Benazeraf... par lui-même (en fait un remontage, nous reviendrons plus loin dessus) et Brantôme 81, vie des dames galantes. Tandis que le film de gangster Joë Caligula s'intègre harmonieusement au mélange des genre que nous évoquions plus haut, les trois films suivants s'éloignent de l'esthétique sexploitation qui ont fait le succès de ses premiers films. Le plus improbable des trois tout d'abord, Le désirable et le sublime, une sorte de dissertation historico-politico-philosophique couchée sur pelloche, près de quatre-vingt minutes d'échanges verbeux entre deux deux gars über-cultivés qui aiment étaler leurs culture et citent allégrement Marx, Hegel, Baudelaire ou Aristote tout en suivant d'un oeil distrait les débats électoraux télévisés. Et hop, au détour d'une citation d'Albert Camus, Benazeraf s'offre une petite séquence érotique, arty of course puisque filmée à travers des filtres jaunes, rouges et verts. C'est joli, certes abscons mais joli. Et pour ceux qui n'ont pas compris qu'il exècre les bourgeois, le vieux briscard nous balance à la figure une séquence de happening (dans les mêmes teintes psyché) où de jeunes hippies lancent des invectives à de vieux bourgeois dégoûtants. Inutile de préciser que la chose est imbitable formellement et que le fond est parfaitement risible. En même temps, Benazeraf nous avait prévenu par un carton préambulaire d'une admirable suffisance qui manqua de peu de nous décourager : « Ceci n’est pas un film, du moins au sens contemporain du terme. C’est une sorte d’Éloge de la Folie – qu’Érasme me pardonne – dans la mesure où cette aliénation consiste à refuser le Monde, et la Société contemporaine. L’Irréel prolongeant le Réel, le complétant, le sublimant, s’y mêlant intimement, la seule fenêtre de cette aliénation, le seul contact de cet univers abstrait avec le monde extérieur étant la télévision. J.B. » Sex is politics, c'est en substance ce que nous affirme avec virulence le cinéaste.


Passons rapidement sur Brantôme 81, critique acerbe mais bancale portant sur la dépendance à l'argent de la France d'en haut, une espèce que le cinéaste abhorre jusqu'au plus profond de lui, pour finir avec dans un sens LE film benazerafien par excellence, le cinéaste mêlant plus qu'ailleurs cul et politique pour y pointer d'un doigt accusateur le conservatisme rigoureusement en vigueur à l'époque (aujourd'hui encore !). Anthologie des scènes interdites donc se présente sous la forme d'une compilation de séquences érotiques et porno-soft victimes des ciseaux d'Anastasie tandis qu'en off le cinéaste explique rétrospectivement ses intentions aux côtés d'une femme lisant les verdicts de la commission de censure. Le résultat, un panorama plutôt complet de son oeuvre iconoclastique et d'un point du vue historique un enivrant aperçu de la libération des moeurs. Seul soucis, K-Films nous propose un remontage de la version de 1975 (sorti sous le titre Anthologie des scènes interdites des films érotiques ou pornographiques de José Benazeraf) faisant du coup pratiquement disparaître la moitié du métrage original. De 110 minutes, le film passe à 70 minutes, les premières victimes étant les plans pornographiques qui clôturaient initialement le film. Bien que nous nous doutons que ces coupes aient été conduites afin d'assurer que le film soit accessible au grand public, celles-ci tendent à considérablement édulcorer la portée subversive originale en sus d'en réduire la pertinence historico-esthétique. Comment en effet concevoir l'évolution conduite par José Benazeraf de la représentation du sexe à l'écran si ne nous sont pas présentés ses films pornographiques ?

José Benazeraf : le chaînon manquant entre Jean-Luc Godard et Max PécasJosé Benazeraf : le chaînon manquant entre Jean-Luc Godard et Max PécasJoë Caligula

Nous avons beau traîter ces films de tous les noms, sacré nom de Dieu leurs tares en font des pelloches immanquable pour les timbrés du cinéma, et ces deux coffrets du pain béni que les amateurs de découvertes insensées et insolites rangeront méticuleusement entre les DVD de JLG et ceux de Jean-Marie Pallardy édité par Le Chat qui fume.






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La Nuit la plus longue
01/01/1970, 01:00
Le Concerto de la peur
01/01/1970, 01:00
Le Désirable et le sublime
01/01/1970, 01:00
Joë Caligula
01/01/1970, 01:00

La Nuit la plus longue / L'enfer dans la peau

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