Regards sur cinéma nord-coréen
Le 24/12/2010 à 16:43Par Yann Rutledge
Journal d'une jeune Nord-Coréenne, le succès local de 2006 (rien de moins qu'un tiers de la population se serait déplacé en salles), est accompagné de trois "classiques" réalisés dans les années 70-80. S'ils ne mettent pas en scène une jeune vendeuse de fleurs décidée à bouter hors de son doux pays l'envahisseur japonais et les bourgeois collaborateurs (La Fille aux Fleurs, 1972), ces films transforment une histoire d'amour impossible en symbole révolutionnaire de la lutte des masses contre l'ordre bourgeois (La Légende de Chungyang, 1980), mettent en scène l’héroïsme sacrificiel féminin décidé à moderniser les campagnes (Le Calice, 1987) et illustrent l'abnégation d'un scientifique et père de famille pour le "Cher dirigeant" Kim Jong-il et la grandeur de sa patrie (Journal d'une jeune Nord-Coréenne).
Dès sa libération par les forces alliées, la Corée du Nord adopte comme doctrine officielle le réalisme socialiste, importé de la Russie soviétique. Kim Il-Song d'abord, son fils Kim Jong-il ensuite, voient effectivement dans le cinéma une arme idéologique et culturelle qui se doit d'être au service de la révolution. Kim Jong-il écrivait dans De l'art cinématographique, un de ses nombreux ouvrages sur l’Hstoire et l’esthétique du cinéma : "La tâche fondamentale de l’équipe de création est de faire des films révolutionnaires d’une grande valeur idéologique et artistique de nature à contribuer efficacement à imprégner les hommes de l’idéologie unique du Parti et à uniformiser toute la société selon les grandes idées du Juche". Pour "imprégner" au mieux le pays, c'est le genre mélodramatique qui est privilégié, du fait qu'il permet d'abord l'opposition des figures et idées manichéennes (l'impérialisme versus le socialisme par exemple), l'exacerbation des émotions, ensuite, pour captiver le public. Plus qu'aucun autre genre, le mélodrame invite par ailleurs à l'emphase esthétique. Les éclairages artificiels idéalisent les héroïnes et les héros, belles et beaux même lorsqu'ils vivent dans la plus sévère pauvreté, dans un village en proie à la famine. Les personnages deviennent par la composition des cadres des "idées incarnées" (selon Antoine Coppola) : l'homme et la femme (surtout la femme, d'ailleurs) communistes.
Avant de prendre la suite de son père à la tête du pays, Kim Jong-il suivait de très près la production cinématographique. Il avait son mot dire sur tout, des sujets qu'il fallait traiter au choix des comédiens. C'est, selon la légende, lui qui aurait choisi l'actrice qui incarne dans La Fille aux Fleurs la pauvre vendeuse de fleurs dont la famille est réduite à l’esclavage. Si jusque dans les années 70, le cinéma célèbre avant tout les héros de guerre et l'effort collectif dans le processus de reconstruction du pays, il s'agira par la suite "de mettre en valeur ceux qui quotidiennement œuvrent dans la direction décidée par le régime" (Antoine Coppola). En contant le renoncement à l'amour d'une jeune femme décidée à endiguer l’exode rural et lutter avec les paysans contre les intempéries, Le Calice s'inscrit pleinement dans cette évolution.
Le cinéma est l'objet de toutes attentions de la part du régime nord-coréen au point que jusque dans le milieu des années 90, ce sont entre vingt et trente films par ans qui sont produits. Mais suite à l'éclatement de l'Union soviétique et l'ouverture de la Chine vers l'économie de marché, alors deux incontournables alliés économiques, la Corée du Nord voit sa production décroître, au point qu'en 2006, seuls deux films trouveront leur chemin en salle : Journal d'une jeune Nord-Coréenne et Pyongyang Nalpharam, "un film d’arts martiaux anti-japonais se déroulant pendant la période de la colonisation japonaise" (dixit Jérémy Segay). Deux films qui attisent davantage l'esprit nationaliste. Si le premier s'offre comme un "miroir ironique" (A. Coppola) de la Corée du Sud capitaliste, le second ravive les positions historiques anti-japonaises.
Le coffret est composé de trois disques pour quatre films, Le Calice et Journal d'une jeune Nord-Coréenne se partageant un disque. Si le transfert de ces derniers sont de qualité (c'est d'ailleurs probablement la raison pour laquelle ils ont été réunis), les deux autres, perfectibles, restent tout à fait regardables. Chaque film est accompagné d'un court entretien éclairant avec Antoine Coppola, auteur de Cinéma sud-coréen : du confucianisme à l'avant-garde et Le cinéma asiatique, tout deux publiés chez L'Harmattan.
Le coffret est disponible dans les bacs depuis le 1er décembre 2010.