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Interview : Fernando Meirelles

Le 06/10/2008 à 10:34
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Interview : Fernando Meirelles

On doit au réalisateur Fernando Meirelles trois immenses films : La Cité de Dieu, The Constant Gardener et Blindness, ce dernier sortant sur les écrans ce Mercredi 8 Octobre. Evidemment, il ne fallait pas s'attendre à rencontre une caricature de cinéaste auteur, tant son génie dépasse tous ses prétendants. Meirelles est quelqu'un de simple, au rire très facile, assez chaleureux et qui n'hésite pas à afficher ses doutes sans jamais livrer de réponses formatées. Trèves de bavardages, il n'y avait rien à couper de ces vingt minutes d'entretien. Place à l'interview fleuve du réalisateur de l'excellent Blindness !

 

Interview : Fernando MeirellesLa Cité de Dieu

 

Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

C'est arrivé un peu par hasard. Je faisais des études d'architecture, j'aimais beaucoup dessiner, et je me suis retrouvé à faire des petits courts métrages d'animation juste pour le plaisir de voir mes dessins s'animer. C'est comme ça que j'ai commencé le cinéma ! J'ai bien aimé l'expérience donc j'ai acheté une petite caméra pour poursuivre mes expérimentations avec la vidéo. Rapidement j'ai été invité à montrer mon travail dans des émissions TV, j'ai été contacté pour réaliser des publicités et après pour réaliser des films. Je n'avais vraiment pas de plan de carrière, j'ai juste saisi des opportunités les unes après les autres... et me voilà aujourd'hui devant vous ! (rires)

 

Vous regardiez beaucoup de films ?

J'aimais beaucoup le cinéma mais je préférais le faire. En fait mon père m'avait aussi offert une petite caméra Super 8 quand j'avais quatorze ou quinze ans et j'aimais beaucoup jouer avec. J'ai vu beaucoup de films, mais je prenais vraiment plus de plaisir à m'amuser avec une caméra.

 

Comment voyez-vous votre évolution entre vos trois derniers films ?

Déjà j'aimerais faire une petite parenthèse et expliquer une bonne fois pour toute à tout le monde que je n'en n'ai pas fait que trois mais cinq! (rires) Effectivement il n'y en a que trois qui sont sortis dans le monde entier... Mes deux premiers étaient vraiment petits et leurs sorties sont restées exclusives au Brésil.

Pour répondre à votre question, je crois que j'apprend toujours aujourd'hui en réalisant un film. Chacun que je fais est très différent du précédent, j'essaye de changer de style, j'aime apprendre à chaque expérience. La Cité de Dieu et The Constant Gardener sont des films situés dans la réalité, qui la commentent même : je pouvais sans problème faire des recherches sur Google pour leur préparation. Pour moi la grosse différence entre Blindness et mes deux précédents films se situe là : l'histoire se passe cette fois-ci dans un monde qui n'existe pas, atteint par un virus qui n'existe pas et n'existera jamais (du moins je l'espère !) avec des personnages qui n'ont pas de passé bien défini. Blindness s'inscrit plus dans le registre de la métaphore que celui du film réaliste. C'est d'ailleurs pour ça que c'est sans conteste le film le plus difficile que j'ai eu à faire. Et c'est la raison pour laquelle mon prochain sera plus simple... Ce sera une comédie !

 

Interview : Fernando MeirellesRalph Fiennes, Rachel Weisz et Fernando Meirelles

sur le tournage de The Constant Gardener

 

Comment avez-vous découvert le livre Blindness ?

C'est une anecdote assez intéressante ! J'ai lu le livre il y a quelques années, avant même avoir réalisé un seul film : c'est vraiment le genre de livre que vous ne pouvez plus lâcher, et que vous avalez en un ou deux jours ! Et j'ai tout de suite voulu acheter les droits pour en faire un film, même si je n'avais jamais fait ça. José Saramago, l'auteur, a tout de suite répondu "non". Du coup je suis passé à autre chose et j'ai acheté entre autres les droits de La Cité de Dieu. Finalement quelques années plus tard, juste après The Constant Gardener, un producteur canadien que je connaissais m'appelle et me propose de faire le film dont il a acheté les droits. Il y a 3000 réalisateurs dans le monde et je ne sais pas du tout pourquoi il m'a choisi moi ! C'est une coïncidence extraordinaire non ?

 

Votre style a évolué sur ce film par rapport aux deux précédents. Pour vous c'est le scénario qui dicte la mise en scène ou le contraire ?

C'est évidemment l'histoire et son ton qui dictent la mise en scène. La Cité de Dieu était un film 100% tourné caméra à la main. Blindness est beaucoup plus formel et contient des travellings, nous avons utilisé des pieds de caméra, etc. Et c'est sont sujet qui requière ce type de mise en scène.

 

Interview : Fernando MeirellesBlindness

 

Blindness n'est pas une production américaine ?

Non, pas du tout. C'est une production canadienne, brésilienne et japonaise. Certes nous avons trois acteurs américains dedans, mais ni l'équipe ni l'argent ne venaient des Etats-Unis. En fait je ne voulais impliquer les américains dans ce film qu'à la dernière minute, en leur vendant le film une fois terminé pour qu'ils le distribuent. Ce qui m'a permis d'en garantir l'intégrité artistique de A à Z.

 

Vous appréhendiez la dureté du tournage de certaines scènes du scénario ?

L'histoire du film est dure, c'est vrai, mais elle contient tout de même un message d'espoir. Du moins je l'espère. Nous pensions que le tournage allait surtout être difficile de par ses conditions, à savoir tourner en grande partie dans un décor de prison sale et déprimant. Et finalement non ! On s'est bien amusé sur ce tournage, il y avait une excellente ambiance et l'équipe est devenue très proche. Nous tournions à l'extérieur de Toronto, près d'un petit village où il n'y avait rien à faire. Donc à chaque fin de journée de tournage, tout le monde restait entre eux, discutait et est devenu amis. Je pense qu'on doit beaucoup à Mark Ruffalo, qui dans la vie est quelqu'un de très agréable, tout le temps blagueur et instaurant une super ambiance.

 

Interview : Fernando MeirellesBlindness

 

La version que nous allons voir au cinéma n'est pas du tout la même que celle présentée à Cannes...

Effectivement. La version que j'ai montrée à Cannes n'existe plus, j'ai juste une copie dans mes archives. Le problème est que nous nous sommes dépêchés sur le montage pour pouvoir le montrer en ouverture du festival. Mais le film n'était vraiment pas terminé, il avait été monté trop vite. J'ai moi-même découvert toutes les scènes montées bout à bout à Cannes lors de la projection ! Après le festival, nous sommes retournés en studio pour refaire l'étalonnage. Ensuite j'ai retiré une grosse partie des voix-off de Danny Glover pour n'en laisser que quelques unes, et j'ai rajouté quelques scènes au début du film. Et voilà, nous avions la version finale du film, celle qui sera montrée partout dans le monde.

 

Qu'apporte pour vous cette voix-off de Danny Glover ? Que ce soit sur la version cannoise ou celle d'aujourd'hui où elle reste présente sur deux scènes ?

Elle est présente sur deux scènes, c'est exact, et elle l'était huit fois dans la version de Cannes. Pour moi Danny Glover était une sorte d'alter-ego de José Saramago, l'auteur du livre. J'ai choisi quelques passages très poétiques du livre dont certains que Saramago a réécrit exprès pour le film. J'ai choisi Danny Glover justement pour sa très belle voix. Ca marchait très bien : on retrouvait vraiment le style de Saramago à travers cette voix-off. Mais je me suis rendu compte que le livre était à l'origine très ouvert dans ses thèmes : on peut le prendre comme un drame politique, un drame philosophique ou même encore un drame psychologique. Imposer une voix-off dans le film réduisait sa portée à une seule approche de l'histoire. J'ai fait un essai sans les voix-off et je me suis tout de suite rendu compte que leur retrait "ouvrait" le film. Je préfère donc cette version !

 

Et pourtant vous laissez quand même deux fois la voix-off sur le film.

Oui, je l'aime bien sur ces deux scènes... Notamment sur la fin. Elle donne un contre-ton intéressant...

 

Interview : Fernando MeirellesDanny Glover

 

L'ambiance du film tend à faire ressentir ce qu'est d'être aveugle...

Je ne sais pas si vous vous en êtes rendu compte, mais à la fin du film 80% des dialogues sont hors champ. J'ai vraiment essayé de plonger petit à petit le spectateur dans une ambiance "d'aveugle" : vous ne voyez pas les gens parler, vous ne faites que les entendre... Et ça a l'air de bien marcher, puisque personne dans les salles ne s'en rend compte !!

En plus, nous avons beaucoup expérimenté graphiquement pour arriver à retranscrire cette ambiance : nous jouons sur le focus de l'image, parfois le cadre de la caméra est décalé, il y a des reflets de reflets pour qu'on puisse deviner l'image sans vraiment la voir, etc. On a parfois l'impression que c'est un aveugle qui dirige la caméra (rires). Mais cela permet aux spectateurs de s'immerger complètement dans l'histoire.

 

Convaincre les acteurs américains d'un tel projet a-t-il été facile ?

Les acteurs américains sont très intelligents... J'ai toujours aimé Julianne Moore, c'est une des actrices que je préfère je pense. Je lui ai envoyé le scénario et deux jours après elle m'appelait chez moi, au Brésil, m'expliquant qu'elle aimait ce qu'elle avait lu et qu'elle voulait faire le film. Ensuite j'ai rencontré Mark Ruffallo à Cannes l'année dernière (où il présentait Zodiac, ndlr) : nous avons pris un petit déjeuner et je lui ai raconté l'histoire. Quelques jours après, je lui donnais le scénario et encore quelques jours après il m'appelait pour me dire qu'il voulait faire le film. Ce sont deux acteurs qui s'impliquent souvent dans des films indépendants. Ils n'étaient pas durs à convaincre.

 

Interview : Fernando Meirelles

Qu'est-ce qui vous a convaincu de prendre les autres acteurs ? Par exemple Danny Glover n'est pas souvent utilisé par Hollywood... Et je doute que ce soit L'Arme Fatale qui vous ait convaincu de le prendre !

Il y a une raison différente pour chaque acteur. J'ai pensé à Danny Glover sachant qu'il devrait aussi narrer le film. C'est un excellent acteur, avec des traits de visage très calmes et une voix grave très belle. Mark Ruffalo n'a rien du héros américain habituel : il est très humain, parfois très fragile et quand même fort. Avant de choisir Gael Garcia Bernal, j'avais pensé pour le rôle du méchant à des "gueules" correspondant parfaitement à la tête de l'emploi. Finalement j'ai trouvé intéressant l'idée de prendre quelqu'un de beau, apparemment sympa et même amusant, et de le voir agir horriblement juste après. Son personnage "King of War 3" est à mon sens au final même plus intéressant que celui du livre, beaucoup plus traditionnel.

 

Deux de vos acteurs sont japonais : Yusuke Iseya (Casshern) et Yoshino Kimura (Django).

Ils sont très connus au japon et par les fans. A la base je voulais d'autres acteurs que je connaissais, mais ils n'étaient pas disponibles. Le casting a été un peu difficile : je devais regarder quelques uns de leurs films non sous-titrés !

 

La cosmopolité de votre casting a déteint sur le regard porté à l'histoire du film ?

C'est une histoire très cosmopolite à la base. Avec seulement des acteurs américains ou seulement des acteurs japonais, l'histoire aurait porté sur un pays. Là, on parle vraiment d'une tragédie touchant l'espèce humaine. Cette mixture de cultures est une richesse.

 

Interview : Fernando Meirelles

Vos trois derniers films montrent un aspect assez peu reluisant de l'être humain. Vous êtes un pessimiste ?

Non... je ne pense pas ! Chacun de mes films est une descente, car je suis persuadé que nous restons des animaux, mais avec une vraie touche d'espoir sur la fin. En fait je crois que je suis quelqu'un d'optimiste ! Je suis convaincu que l'humanité va mieux de jour en jour. Nous sommes plus fréquentables qu'il y a cent ans...

 

Ces dernières années, beaucoup de films marquants ont été réalisés par des sud-Américains : Alfonso Cuaron, Walter Salles, Alejandro Gonzales Inarritu, ... vous ! Comment expliquez-vous ça ?

C'est en effet une bonne période pour les films sud-américains. Je pense que c'est en partie dû à l'urgence dans laquelle ils sont pensés. Nos pays sont encore en plein développement, en pleine construction. Etre né en France, c'est arriver dans un pays "tout prêt" : vous aurez beau travailler beaucoup dans votre vie, vous ne participerez pas autant à le construire que nous dans les nôtres. Nous, nous savons qu'il y a beaucoup de choses à faire. Il y a toute l'identité de nos pays à construire. Quand je viens à Paris, je me demande "Wow ! Que serait-il passé si j'étais né ici ? Je sais que je peux tout faire, mais à quoi bon : tout est déjà fait ! Quoique je fasse, je ne changerais pas grand chose...". Votre histoire est imposante. Nous, nous n'en avons pas. Quelque part c'est excitant et nous en puisons toute notre énergie.

 

Vos deux derniers films ont en commun avec ceux de vos confrères qu'ils ont un regard sur le monde et non pas seulement sur un pays. Et à chaque fois je trouve ce regard prodigieusement juste !

(rires). Je ne sais pas ! Peut-être ! Et si c'est le cas, je ne sais pas pourquoi. (il réfléchit) Enfin, si, je pense savoir pourquoi : même lorsque je fais des films ou téléfilms au Brésil, je ne parle pas d'un pays mais de l'être humain. D'ailleurs on m'a fait la réflexion récemment que mes films opposaient toujours des êtres humains à des "forces supérieures" : des trafiquants de drogue dans la Cité de Dieu, des organisations pharmaceutiques dans The Constant Gardener, un virus inconnu dans Blindness, etc.

 

Interview : Fernando MeirellesThe Constant Gardener

 

Bon, quand est-ce que vous faites un film à Paris ? Les français ne sont pas très doués pour filmer cette ville...

(rires). Je n'ai pas d'histoire pour le moment à raconter ici. Mais je devrais y réfléchir ! En plus je connais bien Paris, je saute sur n'importe quelle opportunité d'y venir ! (rires) En plus personne ne m'a invité à venir tourner un segment de Paris, Je T'aime. J'aurais tellement adoré...

 

Et si on vous proposait un blockbuster américain ? Vous répondriez quoi ?

J'ai pas mal de propositions. Je les refuse toutes jusqu'à maintenant. J'ai reçu en revanche un scénario d'un gros film américain il y a quelques jours, qui est sur mon ordinateur et que je vais lire. Mais je ne pense pas que je le ferais. Ce sera tourné en Italie avec Scarlett Johansson. C'est une extraordinaire actrice, mais c'est très difficile de faire un film aux USA. On est constamment surveillé, on doit envoyer les rushs tournés chaque fin de journée pour qu'ils soient contrôlés, ... Il y en a qui s'en sortent très bien, qui savent faire ce genre de films. Moi non. Ce serait très difficile. Même quand j'écris un e-mail, je bloque si j'ai quelqu'un derrière moi ! Alors pour faire un film à Hollywood... Bon... peut-être un jour. Mais pas maintenant !

 

Interview : Fernando MeirellesFernando Meirelles, ici sur le tournage de The Constant Gardener

 

Et donc, quel sera votre prochain film ?

Ce sera une comédie que je suis en train de développer et qui sera tournée l'été prochain. Le casting sera à nouveau très international, avec des acteurs de plusieurs pays qui parleront dans un anglais plus ou moins approximatif. C'est une comédie très légère, très simple, très agréable, sans aucune prétention de quoi que ce soit ! Le scénario n'en demeure pas moins intelligent et drôle. Mais ça va me changer des précédents...

 

 

Propos recueillis par Kevin Prin et Pierre Delorme, retranscris par Kevin Prin.








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