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Interview : Lisa Cholodenko (Tout Va Bien)

Le 12/10/2010 à 15:50
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Tout va bien : Interview de la réalisatrice Lisa Cholodenko Dans les salles depuis quelques jours, Tout va bien (alias The Kids Are All Right!) met en scène Annette Bening et Julianne Moore en couple lesbien dont la vie bascule suite à l'apparition dans leur vie de famille du donneur de sperme de leurs deux enfants. La réalisatrice Lisa Cholodenko délivre une comédie familiale d'allure peu conventionnelle abordant des thématiques universelles sur le défi du mariage et de la famille.

Ne pas faire un film militant, telle était la volonté affichée de Lisa Cholodenko, que nous avons rencontrée à Deauville en septembre dernier. Elle revient sur ses intentions au moment d'écrire le scénario, son rapport à l'aspect "politique" du film, son travail avec les actrices et les réactions rencontrées par le film aux Etats-Unis.

Filmsactu.com : D'où vient cette histoire ?

Lisa Cholodenko : De mon imagination ! (rires) En fait, j'essayais d'avoir un bébé et ma partenaire et moi avions décidé d'avoir recours à un donneur de sperme. Nous avons eu de longues conversations des mois durant, afin de déterminer si nous allions demander à un ami ou si nous allions intégrer une autre personne dans la famille, comme un troisième parent. Nous nous interrogions sur ce que cela allait impliquer pour l'avenir, pour nous et pour notre enfant. Nous avons finalement décidé d'opter pour un donneur anonyme parce que nous souhaitions avoir une famille plus traditionnelle, avec seulement deux parents. C'est au moment où je faisais toutes ces recherches, pendant que j'essayais de tomber enceinte, que j'ai commencé à écrire un scénario. Cette famille m'est alors apparue : Nick et Jules, avec leurs deux enfants adolescents, puis le donneur de sperme, Paul. Ces cinq personnes étaient là depuis le début du processus d'écriture.

 

Tout va bien : Interview de la réalisatrice Lisa Cholodenko

 

Finalement, l'histoire parle avant tout des relations parents/enfants.

Tout à fait. Au début, quand j'ai commencé à écrire, je me focalisais surtout sur l'aînée, Joni, et sur l'expérience qu'elle vivait en trouvant son père/donneur de sperme. Ensuite, le scénario a évolué. Il a pris deux ou trois ans à prendre forme. Il s'intéressait de plus en plus à toute la famille, notamment les mères et leur relation. Je me suis penchée sur ce que signifiait pour elles de maintenir l'équilibre de cette famille et de leur mariage pendant aussi longtemps.

 

Il est très rare au cinéma de voir un couple lesbien envisagé comme un couple, tout simplement, sans que le sujet lui-même ne soit l'homosexualité. Qu'en pensez-vous ?

Oui, et je trouve ça formidable parce que c'était vraiment notre but, à Stuart et moi (ndlr : Stuart Blumberg, co-scénariste). J'ai demandé à un ami d'écrire le scénario avec moi parce que j'avais écrit plusieurs scénarios toute seule et je ne voulais pas plus revivre cette expérience. Je voulais son aide et il était la personne idéale pour écrire avec moi. Bref, nous étions d'accord sur l'importance de ne pas faire un film politique, ni un film d'exploitation. Nous sentions qu'il y aurait un sentiment politique dedans, ne serait-ce que parce qu'il n'était jamais arrivé auparavant qu'un couple lesbien soit représenté de manière aussi banale, aussi normale au cinéma. Je suppose que c'est politique. Mais nous nous sommes focalisés sur les thématiques universelles, comme les relations humaines, la famille, la difficulté d'élever des enfants, cette folie qu'il y a dans le rapport avec les adolescents ou lorsque l'un d'entre eux quitte la maison, ou encore ce qui se passe quand l'un des parents a une liaison et que les enfants se retrouvent impliqués.

 

Quand Jules trompe Nick avec Paul, certains ont vu un cliché selon lequel il y a toujours une personne, dans un couple gay, qui ne l'est pas vraiment. Qu'en pensez-vous ?

Certaines personnes voient les choses comme ça et je suppose que c'est possible. Ce n'était pas mon intention et cela ne correspond pas à mes vues sur la sexualité. Je vois davantage la sexualité comme évoluant sur un continuum. Le personnage de Jules se sent fondamentalement gay sur le plan émotionnel et sexuel. Son intérêt et son désir se tourne avant tout vers les autres femmes, mais il se trouve qu'elle peut ressentir du désir pour les hommes. Cela ne veut pas dire qu'elle change de bord. Cela veut juste dire qu'elle a rencontré quelqu'un qui lui fait ressentir cela, pour des tas de raisons. Dans l'histoire, son amour et son engagement vont vers Nick, la femme avec laquelle elle élève ses enfants.

 

Tout va bien : Interview de la réalisatrice Lisa CholodenkoLisa Cholodenko avec Annette Bening et Julianne Moore

 

 

Comment s'est passé le tournage avec les actrices, Annette Bening et Julianne Moore ? Etaient-elles ouvertes à tout ?

Oui, elles ont été formidables. Elles voulaient toutes les deux faire ce film. Je pense qu'elles y ont décelé un challenge excitant. Pas parce qu'elles n'auraient jamais joué de Lesbiennes - je crois d'ailleurs savoir qu'elles en ont toutes les deux joué auparavant. Mais je pense qu'elles ont saisi la complexité de leur personnage respectif. D'autre part, qu'il s'agisse d'Annette ou de Julianne, elles sont toutes les deux mariées depuis longtemps et pouvaient donc se sentir personnellement concernées par les thèmes de l'histoire. Elles pouvaient chacune s'inspirer de leur propre expérience. Nous n'avons pas forcément parlé de ce qu'elles allaient apporter à l'histoire, mais je savais qu'elles étaient inspirées par le matériau, qu'elles pouvaient envisager la situation sous tous les angles.

 

Qu'en est-il de Mark Ruffalo ? Pourquoi  l'avoir choisi pour le rôle de Paul ?

J'adore ce gars, c'est quelqu'un d'adorable, en plus d'être un acteur très investi. En fait, j'ai eu très peu de temps avec lui. Il était à New York et il a fait le déplacement jusqu'en Californie pendant la production, la veille du jour où nous avons tourné ses scènes. Je n'ai donc eu aucune répétition avec lui. Il est arrivé la veille dans sa loge et nous avons discuté. J'ai regardé ce qu'il portait comme vêtements et je lui ai donné quelques indications de direction. La caméra a commencé à tourner et il savait exactement ce qu'il fallait faire. Je pense qu'il s'est beaucoup intéressé au personnage, qu'il s'y est identifié toute de suite.

 

Comment expliquer que Paul veuille connaître ses enfants, alors que beaucoup d'hommes auraient préféré ne pas en entendre parler ?

Dans mon imagination, je suppose qu'il ressent de la curiosité. Il se demande à quoi ils ressemblent. Quand il apprend qu'ils veulent le rencontrer, il se sent aussi un peu obligé d'accepter. Il veut être quelqu'un de bien et faire quelque chose pour eux. Il y a aussi de la vanité là-dedans : "Oh, j'ai des enfants! Je me demande s'ils sont beaux, s'ils sont intelligents, s'ils sont cool!". C'est un mélange de tout cela. Mais par la suite, on réalise que lui-même est arrivé à un moment de sa vie où il a l'impression qu'il lui manque quelque chose. Il se sent seul et peut-être qu'il recherche aussi une famille. Pour moi, c'est de là que part sa réaction quand il reçoit ce coup de téléphone. Cela éveille quelque chose en lui et il se demande ce que cela veut dire.

 

Tout va bien : Interview de la réalisatrice Lisa Cholodenko

 

Au cinéma, la maternité a tendance à être sacralisée : les portraits de mère sont souvent uniquement faits de bons sentiments alors que la réalité est beaucoup plus complexe. Cela dit, ici à Deauville, on a pu voir beaucoup de films qui abordent la question avec davantage de réalisme.

Je pense que les choses s'améliorent, elles évoluent pour les femmes. Il y a des femmes qui dirigent des studios et de plus en plus de femmes qui réalisent des films. Lentement mais sûrement, les portraits de femmes deviennent donc de plus en plus intéressants. Malgré tout, l'industrie est toujours largement dominée par les hommes, ce qui explique que les points de vue adoptés soient avant tout masculins. Ce n'est pas génial, mais heureusement, il y a le cinéma indépendant qui permet de voir les choses sous des angles plus diversifiés.

 

On entend dire que les investisseurs prennent de moins en moins de risque. Le film Tout va bien a-t-il était difficile à financer ?

Oui, c'était plus difficile que je l'avais anticipé. Mais pour plusieurs raisons. Il ne faut pas oublier que le cinéma est un business. Ils regardent les statistiques et se demandent quelle valeur tel acteur a sur le marché, combien d'argent ce réalisateur ou cette réalisatrice a rapporté avec ses précédents films, ce que rapporte le genre en général. Ils analysent constamment ces questions et en tirent une science. Evidemment, il n'est pas aussi facile de vendre un film comme celui-ci qu'un Superman ou un Avatar. En gros, vous devez vous battre contre des chiffres. Je savais que je pourrais trouver des financements grâce à ma réputation, au casting et au scénario, mais aussi grâce à des gens qui avaient une vision. Je savais aussi que j'avais la lourde responsabilité de délivrer un film qui fonctionne, qui soit suffisamment accessible et amusant pour que le public ait envie de voir. Il fallait aller à l'encontre de ce que démontraient les statistiques.

 

Tout va bien : Interview de la réalisatrice Lisa Cholodenko

 

Comment la critique et le public ont-ils réagi à la sortie du film ?

La critique a adoré. Le film a eu des critiques incroyables et de manière assez unanime. C'était flatteur et merveilleux. Merci mon dieu! Je crois aussi que le film est considéré comme un succès au box-office. Pas au même niveau que Little Miss Sunshine ou Juno, qui ont rapporté énormément d'argent. Mais je crois que Tout va bien a fait 20 millions de dollars de recettes jusqu'à présent, ce qui est plutôt bien pour un film aussi spécifique. Cela me fait très plaisir. Je suis assez confiante pour son exploitation à l'international.

 

Avez-vous eu des réactions conservatrices ?

Pas vraiment. En fait, je crois que les réactions les plus conservatrices que j'ai reçues venaient de Lesbiennes ! Elles ont été heurtées que le personnage de Julianne Moore couche avec un homme.

 

Et vous, comment avez-vous réagi à cela ?

Je peux comprendre mais je trouve que c'est une réaction un peu obsolète. Cela pouvait avoir son importance dans les années 70 mais plus aujourd'hui. Et puis, ce n'est pas un film qui milite pour les droits des Homosexuels. Ce n'est pas le sujet. C'est juste le portrait d'une famille gay et le récit de ce qu'elle traverse. Donc je leur ai dit : "Ok, je comprends, c'est votre point de vue et il vous semble justifié. Il ne me semble pas pertinent et... ne vous privez pas : prenez une caméra et faites un film !"

 

Finalement, il s'agit de voir Jules comme un personnage à part entière et non uniquement à travers sa sexualité.

Tout à fait ! Et pour vous dire la vérité, le personnage m'est venu tel qu'il est dans le film. On m'a demandé pourquoi elle ne trompait pas Nick avec une autre femme et je leur ai répondu que le scénario n'allait pas dans ce sens, que je ne voyais pas le personnage comme ça. Je pense aussi que cela rend le film plus accessible. Lui donner plus de visibilité est aussi une manière de servir la Cause. Je ne voulais pas que le film soit uniquement vu dans les festivals gays et lesbiens, je le voulais plus grand public.

 

Tout va bien : Interview de la réalisatrice Lisa Cholodenko

 

Comment se fait-il que l'on parle beaucoup moins d'homosexualité féminine que masculine au cinéma ?

Effectivement, c'est le cas. Je suppose que c'est dû au fait qu'il y a moins de femmes réalisatrices et donc moins de femmes qui mettent en avant leur désir de voir ce sujet abordé. C'est difficile à dire.

 

Il y a aussi une autre théorie : il est encore tabou de voir la sexualité féminine représentée de manière indépendante des hommes, sans qu'un homme ait un contrôle sur cette sexualité...

Je suis d'accord. C'est une explication très "patriarcale" de ce constat. Vous savez, j'essaie de ne pas faire de politique. Mais il est difficile d'éviter complètement d'en faire parce que l'on voit et ressent forcément des choses. Je suppose que je suis "politique" dans le sens où je continue à faire ce que je veux et que je persiste à penser que ces films doivent être faits. Je m'obstine jusqu'à ce que cela marche. En ce sens, je vais contre ce système.

 

Quel sera votre prochain film ?

Je n'ai pas d'engagement pour le moment. Je lis beaucoup de scénarios et j'ai des idées. Je vais peut-être développer une série pour la chaîne HBO. Mais je n'ai encore rien signé.

 

Propos recueillis par Elodie Leroy

Interview réalisée au Festival du Cinéma Américain de Deauville

 







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