Interview éditeur : Black Bones
Le 24/10/2008 à 10:34Par Frédéric Frot
Né par accident, Black Bones propose depuis plusieurs mois des séries et OAV de qualité et son catalogue ne fait que s'étoffer avec des titres alléchants, tels que Spécial A, Busgamer ou RG Veda. A l'occasion de la convention Japan Expo 2008, nous avons eu le plaisir de rencontrer l'un des membres fondateurs de l'éditeur Black Bones. Nous avons pu lui poser de nombreuses questions afin d'en savoir un peu plus sur cette jeune société d'édition.
Filmactu.com : Comment a été créé Black Bones ?
Black Bones : Un peu par hasard. Black Bones est né il y a maintenant un an et RG Square (ndlr : structure qui s'occupe de prestations de services audiovisuels) est en quelque sorte la maison-mère. Nous faisions pas mal de petits et gros travaux pour divers clients, de l'authoring DVD pour plusieurs éditeurs, d'ailleurs présents sur ce salon. Nous faisions également de la négociation de droits pour certains de ces éditeurs auprès des Japonais. Suite au désistement de dernière minute d'un de nos clients, nous nous sommes retrouvés avec des licences dont nous devions honorer l'achat. Fort heureusement, ces licences nous plaisaient, et pour cause puisque que nous les avions sélectionnées pour cette raison, puis présentées à notre client d'alors. Nous nous sommes dits, après un petit temps d'hésitation, que nous allions saisir cette occasion, nous "servir" de ce petit incident pour nous lancer. Nous avions toujours nourri, quelque part, le rêve de redevenir acteur de ce milieu que nous connaissons bien puisque nous évoluons dans cette galaxie depuis près de 8 ans. Nous nous sommes dits que nous allions éditer tout cela, construire notre petit catalogue tranquillement en parallèle des prestations de services qui restent notre activité principale. Depuis sa création, RG Square a notamment œuvré pour Kana Home Video, sur le DVD de Mär Heaven dont nous avons réalisé l'authoring (réalisation des menus et interactivité d'un DVD), et pour lequel nous avons également organisé et supervisé le doublage. De même nous sommes également responsable de l'authoring sur le premier Box de Death Note. Nous avons réalisé les mêmes choses pour Anima sur Dokuro-chan, Higurashi et Tales of Phantasia, pour Kubik Vidéo sur Flower & Snake et Love Battlefield, ou encore pour AB Vidéo. Nous avons réalisé pour ces derniers les sous-titrages de la série 2 de Vandread, de Hokuto no Ken - le film ainsi que la conception du livret collector, de Détective Conan - Box 1, des coffrets 3 et 4 de Saint Seiya, des 4 films de Saint Seiya et du second coffret des films de Dragon Ball Z.
Bus Gamer
La société Delcourt vient d'investir dans le capital de Black Bones. Est-ce que cela signifie que des animations adaptées de mangas vont être éditées chez vous ?
Cela fera partie des possibilités qui seront étudiées, effectivement. C'est quelque chose que nous souhaiterions développer d'un commun accord avec le groupe Delcourt, et donc l'éditeur Tonkam notamment. Il y aura, de ce fait, deux pôles au sein de Black Bones. D'une part, il y aura toujours ce que l'on a lancé au départ, c'est-à-dire des licences un peu "oldies" ou simplement méconnues voire inconnues chez nous, des titres anciens ou plus récents qui nous tiennent à cœur en tant que fans d'animation traditionnelle. D'autre part, il y aura effectivement cette synergie avec le groupe Delcourt pour des séries nettement plus récentes et plus ambitieuses, en lien avec leur catalogue manga. Le premier titre d'importance qui correspond à cette approche est Special A : nous avons acquis les droits de l'animé tandis que Tonkam s'est approprié ceux du manga. Nous allons développer ensemble toute une stratégie d'édition et de communication autour de ce titre phare de la cuvée 2008. Nous espérons développer ce genre de partenariats autant que possible. Par ailleurs, nous réfléchissons aussi avec Tonkam à une édition spéciale des OAV de Tokyo Babylon, l'éditeur s'apprêtant à rééditer ce célèbre manga de Clamp.
Va-t-il y avoir une évolution dans le marché de l'animation ?
De plus en plus d'ayant-droits nippons de manga disent aux Français qu'il sera compliqué à l'avenir pour un éditeur de manga d'acquérir des licences s'il ne possède pas un département vidéo. Les Japonais vont ainsi en venir à privilégier la vente d'un manga et de son adaptation animée en "pack" quand ce sera possible. Ils vont de ce fait avantager un seul et même intervenant qui prendra l'ensemble des droits. Cela leur permet de simplifier la gestion des droits à l'étranger en limitant le nombre de d'intervenants à un seul contact. Delcourt l'a bien compris, le rapprochement avec Black Bones fait partie intégrante de cette stratégie commune. L'avenir du marché passera donc sans doute par un rapprochement entre manga et animation. Par ailleurs, on a pu constater que la guerre des éditeurs a laissé des traces et que bon nombre d'entre eux ont soit disparu, soit perdu de leur superbe. Il n'existe plus véritablement de "concurrence frontale", c'est-à-dire que les éditeurs ne sont plus forcément focalisés sur les mêmes titres au même moment.
Special A
Après un peu plus de six mois d'existence, quel est le bilan de ces débuts de vie en tant qu'éditeur ?
Le bilan est plus que positif. Nous sommes très satisfaits, même si l'on savait en nous lançant que les choses ne seraient pas simples. Le marché est en crise, ce qui accentue la difficulté d'y trouver sa place. D'autant plus lorsque l'on propose un catalogue basé sur des œuvres plutôt méconnues voire inconnues, en marge du flux plus "commercial", et ce même si l'on devrait se repositionner sur ce terrain grâce à l'aide du groupe Delcourt. Etant donné nos petits budgets, nous nous en sortons plutôt bien et notre évolution est constante. Le public semble nous avoir adopté et nous avoir associé à une image de sérieux et de qualité. L'apport de Delcourt nous permettra dans les mois à venir de voir plus loin encore.
Avec Bubblegum Crisis vous avez présenté un produit novateur en termes de packaging. Cette expérience sera-t-elle renouvelée ?
Il est vrai que l'on a entendu beaucoup de choses sur ce packaging (rires). Il y a deux camps d'égale importance, ceux qui adorent et ceux qui conspuent. Il est intéressant de revenir sur la raison d'être de ce packaging, car beaucoup de personnes nous ont posé la question. C'était notre premier titre phare. Il s'agissait d'autre part du 20ème anniversaire de ces OAV cultes de l'animation japonaise - et le terme n'est pas galvaudé -, nous souhaitions vraiment faire quelque chose autour de cette licence, marquer le coup. C'est une licence qui avait déjà été exploitée en France en VHS, puis qui avait été longuement disponible en DVD zone 1 pour les fans français qui avaient perdu espoir de voir un jour cette série transposée sur galette chez nous. Nous avons donc pris le parti d'être original, de créer un buzz, de faire parler de nous au moyen d'un packaging DVD jamais vu en France. Les retours ont globalement été positifs et les ventes ont suivi. Est-ce que l'expérience sera renouvelée ? Je pense que l'on mettra l'innovation de côté pour l'instant, nous préférons investir dans des titres plutôt que dans un packaging hors de prix. En dépit de l'apport de Delcourt, nous restons tout de même nettement en marge des autres éditeurs en termes de budget.
A Japan Expo, vous avez présenté du matériel issu des studios : des illustrations, des storyboards, des model sheets. Les retrouvera-t-on en bonus dans les DVD sous forme de livrets ou de vidéos ?
Précisons d'emblée que nous ne recevons pas ce matériel pour toutes les licences que nous acquérons. C'est très exceptionnel, surtout pour des titres datant des années 80. Nous avions effectivement confectionné pour la Japan Expo de petits books qui rassemblaient divers éléments de production, comme des reproductions de celluloïds, des extraits de storyboard, des genga... mais cela concernait essentiellement Bubblegum Crisis, Iczer one et Arslân Senki. Si nous n'avons pas proposé ces éléments dans des livrets, c'est que cela demande un budget conséquent de les produire et de les incorporer dans un packaging adapté. On revient à ce que je disais précédemment : nous avons des budgets alloués en fonction du seuil de rentabilité de chaque titre et il nous est difficile de proposer des livrets pour des titres d'un catalogue aussi particulier que le nôtre, en tenant compte des moyens qui sont les nôtres. Nous avons donc, pour l'heure, préféré montrer ces éléments au public via notre stand. Une démarche qui a eu un certain succès, je crois.
RG Veda
Le catalogue de Black Bones s'étoffe peu à peu, avec à venir RG Veda et Tokyo Babylon notamment. Quels sont les œuvres à venir chez vous ?
Nous avons déjà annoncé les acquisitions de Special A, que l'on peut aisément présenter comme étant le nouveau Fruits Basket sur bien des points, soit une comédie sentimentale absolument délirante et jouissive. L'un de nos coups de cœur ! Nous avons également annoncé l'acquisition des OAV de Bus Gamer, lesquels adaptent un manga de Kazuya Minekura, l'auteure du très populaire Gensômaden Saiyûki (ndlr : dont l'animé est édité chez Déclic Images). Nous avons pas mal de choses dans les tuyaux, mais rien qui puisse être dévoilé à l'heure actuelle. Mais les prochains titres seront excitants pour nous, à n'en pas douter !
Est-ce que Black Bones envisage d'utiliser des médias récents comme le Pay Per View ou la VOD dans un proche avenir ?
C'est quelque chose que nous souhaiterions mettre en place, effectivement. Nous aimerions nous faire connaître par ce biais là. Des démarches ont déjà été engagées en ce sens. Cela suit son cours.
A l'heure actuelle, de nouveaux éditeurs de mangas apparaissent. A-t-on atteint selon vous un nombre maximal d'éditeurs dans l'animation ?
J'ignore ce qu'il en est réellement du marché du manga, mais celui du DVD est embouteillé depuis pas mal de temps, ce n'est pas une légende urbaine. Mais, comme je vous le disais plus haut, la compétition sauvage avec la flambée des prix des licences et la crise du marché ont causé un sérieux écrémage du milieu. La concurrence n'est donc plus la même, mais elle est toujours là. Parmi les derniers arrivés, on peut citer des structures comme We Prod, derrière laquelle se trouve en fait le groupe M6, et qui développe son catalogue tranquillement... Il y a aussi Anima, qui s'est lancé quelques mois avant nous, et qui bénéficiait déjà d'une assise financière solide via leur organisme de prestations de services, GBone. Black Bones a été créé sur nos fonds propres, bien avant que RG Square ne devienne rentable. Nous sommes pour ainsi dire partis de rien, si ce n'est avec notre expérience et notre envie, et nous sommes arrivés au moment où le marché se fermait littéralement sur lui-même. De nos jours, chacun s'accorde à dire que celui qui se lance sur le marché français du DVD sans une solide assise financière irait au-devant de grandes désillusions. Nous sommes heureux aujourd'hui de pouvoir compter sur le groupe Delcourt pour développer sereinement un nouveau pôle éditorial tout en continuant à nous faire plaisir avec des titres d'un abord moins évident pour le grand public.
Tokyo Babylon
Japan Expo était votre premier salon. Quelles sont vos impressions sur ce salon et qu'en avez-vous retiré comme enseignements ?
Beaucoup de monde, beaucoup de passage au stand, beaucoup de discussions et d'échanges passionnés. Nous sommes heureux d'avoir eu l'opportunité de nous faire connaître, car Black Bones restait encore relativement méconnu du public. De nombreuses personnes nous ont confié que notre naissance correspondait à leurs attentes, à savoir un label qui se consacre en partie à l'animation traditionnelle, des œuvres marquantes des années 80 ou 90 entre autres. Le tout dans des éditions techniquement sérieuses et financièrement attractives. Nous avons donc eu un accueil plutôt enthousiaste et reçu beaucoup d'encouragements à persévérer. Le contact avec le public a réellement été enrichissant.
Bubblegum Crisis sort au japon en Blu-Ray. Pensez-vous proposer la haute définition à votre public dans un proche avenir ?
Nous nous sommes penchés sur la question, bien entendu. Mais pour l'heure, il n'en sera pas question. Un authoring Blu-Ray coûte au mieux le double d'un authoring DVD, et 1 euro de plus à la pièce lors de la duplication (à multiplier par le nombre de pièces pressées, donc). Sans oublier les frais d'entrée dans le système Blu-Ray, la clé de codage de la galette ainsi que les royalties afférents ! Autant dire que la lenteur du développement de ce format ne nous surprend pas ! De plus, nos licences et le matériel qui nous est fourni ne nous permettent de toute manière pas d'exploiter réellement les possibilités incontestables de ce nouveau format HD.
Avez-vous un dernier mot pour les lecteurs de FilmsActu ?
J'espère qu'ils nous soutiendront. Même si nous sommes satisfaits aujourd'hui de l'accueil réservé à Black Bones et ses licences, il s'agit d'une lutte de tous les instants pour la survie. Lorsque l'on a un catalogue comme le nôtre, dans un marché en crise qui plus est, il est important de fédérer son public. Nous comptons beaucoup sur votre soutien !Propos recueillis par Frédéric Frot et Valérie Frot
Interview réalisée à la Japan Expo 2008
Remerciements à Ludovic Gottigny