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Comme l'indique un carton en ouverture, L'Aurore a été préservé dans deux versions. La première mouture dont nous parlons tout d'abord ici est la plus célèbre, celle dite "movietone" (ou américaine), tiré du nom du procédé d'enregistrement du son sur pellicule garantissant une parfaite synchronisation entre l'image et l'accompagnement sonore des films. Le master de la version movietone est proposée en format 1.20 respecté et non en 1.37 étant donné que l'accompagnement musical de l'époque était inséré sur le côté gauche de la pellicule réduisant de ce fait le format plein cadre plus communément utilisé. Quand on sait que le négatif original de L'Aurore a été détruit lors d'un incendie des studios de la Fox en 1937, on ne peut que se réjouir de la présente ressuscitation du chef d'oeuvre de Murnau. Ce master Haute Définition 1080/23.98p (encodage AVC) impose d'emblée une clarté et une restauration haut de gamme bien que les contrastes manquent légèrement de fermeté. Toutes les scories et accrocs (points blancs et noirs, rayures verticales) n'ont évidemment pas pu être éradiqués mais la propreté de l'image demeure réellement impressionnante. Les blancs sont lumineux, le N&B dense et stylisé, la palette de gris étant étendue tout du long jusqu'à la dernière bobine qui se révèle néanmoins plus altérée que le reste du film. Expérimentant sur l'image, Murnau réalise quelques surimpressions sur un même plan, un travail réalisé en postproduction qui ne perturbe jamais l'homogénéité du master. Sans atteindre toutefois la beauté irréprochable du master HD de Lucky Star de Frank Borzage également édité par Carlotta, nous nous trouvons devant une copie homogène et stable malgré quelques fourmillements aux arrière-plans.
Retrouvez nos captures Blu-Ray en Full HD (1080p) :
On aurait néanmoins tort de penser qu'un autre master HD puisse surpasser cette copie tant la qualité technique apparait ici optimale pour un film des années 20. Pourtant, l'éditeur propose de découvrir une mouture de L'Aurore surpassant techniquement la version "movietone". En effet, vous trouverez sur le même Blu-ray une deuxième version de L'Aurore retrouvée à Prague et sobrement intitulée "version tchèque". Cette version européenne demeure l'unique élément de l'époque et comporte des intertitres tchèques. Contrairement à la version "movietone", cette mouture correspond au film muet original tel qu'il a été tourné par Murnau car la pellicule ne comprenait pas d'accompagnement sonore. Le format est donc différent et l'on passe ainsi du 1.20 au 1.37 avec un joli gain d'image. Par rapport au master américain, cette version tchèque restaurée l'emporte sur bien des points en particulier sur la densité des noirs, une définition plus accentuée, une gestion des contrastes plus ferme, malgré des scories encore quelque peu présentes. La luminosité est encore plus accrue avec des blancs plus nuancés, le piqué est renforcé, les séquences nocturnes sont nettement plus fluides et claires, le grain plus adouci, bref, la copie s'avère sensationnelle surtout concernant le rendu de la disparité des ombres et de la lumière. De plus, la stabilité n'est pas en reste avec une plus grande assurance des arrière-plans. Pour résumer, ce deuxième master HD est à se damner et impose cette édition comme une étape décisive de la HD depuis l'émergence du support Blu-ray. Voici pour vous un petit comparatif avec respectivement la capture de la version Movietone suivie de celle issue de cette mouture tchèque :
format 1.20, version Movietone
format 1.37, version tchèque
Si l'image de L'Aurore tenait déjà du miracle nous ne trouvons pas les mots pour décrire celle de City girl. Longtemps "porté disparu" jusqu'à la découverte d'un tirage positif en 1969 dans les entrailles de la Fox, le troisième film américain de Murnau renaît littéralement de ses cendres avec ce transfert HD. Cela commence pourtant par un générique relativement marqué par les affres du temps avec divers points blancs qui émaillent l'écran, ainsi que des sautes d'image qui n'augurent rien de bien folichon. Et pourtant dès les premiers plans du film on écarquille les yeux devant l'incroyable beauté de la restauration de ce master. D'une fabuleuse propreté, l'image impose sur le champ des contrastes acérés et denses, rendant hommage à la superbe photographie du film à travers un N&B nuancé aux noirs compacts et aux gris chatoyants. Le master 1.19 est respecté, les scènes diurnes notamment celles se déroulant à la campagne, plus particulièrement dans les célèbres champs de blé, sont stupéfiantes de relief (les textures sont palpables), le niveau de détails étant confondant (les yeux des comédiens brillent de mille feux) et la luminosité renversante. Malgré tout, car il y a quand même de petits accrocs (on chipote c'est vrai), nous noterons un cheveu récurrent en bord de cadre, quelques rayures verticales et une dernière bobine sensiblement plus altérée que le reste du film. Il n'empêche que ce Blu-ray de City girl est proprement merveilleux, l'apport de la HD étant manifeste continuellement et prouvera, si cela est nécessaire, qu'éditer un film du patrimoine en HD, surtout datant des années 20 comme c'est le cas ici, est tout aussi fondamental qu'une oeuvre contemporaine.
Retrouvez nos captures Blu-Ray en Full HD (1080p) :
City Girl
En ce qui concerne City girl nous nous retrouvons avec le même problème concernant l'apport d'un nouveau mixage, comme c'était déjà le cas sur le Blu-ray de Lucky Star (Frank Borzage). Exit l'éventualité d'un mixage mono PCM, nous devrons nous "contenter" d'une piste DTS HD Master Audio 5.1 délivrant sur toutes les enceintes le nouvel accompagnement musical de Christopher Caliendo, spécialiste des réorchestrations de musiques de films et déjà auteur de la nouvelle partition de Lucky Star. Si elle ne manque pas de charme, cette nouvelle partition ne s'accorde guère avec l'histoire et on ne peut s'imaginer de penser que la partition d'origine devait être à cent lieues de celle proposée. Comme pour Lucky Star, cette nouvelle musique apporte un environnement musical inédit au détriment d'une réelle symbiose avec les images tout en demeurant d'une indéniable qualité technique. La note finale tient également compte de la qualité artistique et le film n'aura que plus de force si vous vous laissez porter uniquement par les images.
Les deux versions du film :
Comme nous l'indiquons dans la critique image, deux versions de L'Aurore existent à ce jour, celle dite "Movietone" (américaine) et la mouture "tchèque" (dite européenne). Sans aucune commune mesure, la version "Movietone" est à privilégier. En effet, la version tchèque n'hésite pas à couper grossièrement quelques séquences importantes et fait souvent perdre aux scènes concernées toute émotion et tension. C'est le cas par exemple de la tentative d'assassinat dans la barque où Murnau joue avec les nerfs du spectateur dans la version "Movietone". Dans la version tchèque, le mari se repent instantanément (le gros plan des mains est même absent dans la version tchèque) en approchant de sa femme et se recouvre instantanément le visage de ses bras. C'est aussi le cas pour la scène chez le barbier où le mari menace au couteau un prétendant (le personnage n'apparaît même pas dans la version européenne) ayant fait du gringue à sa femme. Même chose, nous perdons dans cette version européenne la réaction du photographe quand il découvre la nouvelle "tête" de sa statue ainsi que le voyage de retour du couple en tramway où le mari dit à sa femme "nous naviguerons au clair de lune, une autre lune de miel". Dans la mouture tchèque, le couple est à peine monté dans le tramway qu'il se retrouve sans explication dans une barque, naviguant paisiblement.
Cette version "tchèque" apparait finalement plus comme une curiosité, ne possédant pas la même force ni la même poésie que la version "Movietone".
Exemple de plans présents uniquement dans la version "Movietone" :
l'entrée dans le monde de la fête est absent de la deuxième version
un prétendant présent uniquement dans la version Movietone
les mains menacantes ne sont présentes que dans la première version
En plus des deux versions du film vous trouverez une belle galerie photos (1min38) composée de photos publicitaires et des portraits des comédiens, ainsi que la bande-annonce muette de L'Aurore (1min45).
DVD - L'Aurore : les suppléments
Mise à part le segment intitulé "Le Retour à Murnau", l'éditeur reprend les mêmes suppléments déjà disponibles sur l'édition collector sortie le 20 octobre 2004.
Qui fut Murnau ? (12min20)
Cumulant les casquettes d'historien du cinéma, cinéaste, critique, écrivain et enseignant en cinéma, Jean Douchet propose en un peu plus de dix minutes de dresser un portrait de Friedrich Wilhelm Murnau, né le 28 décembre 1888 et mort le 11 mars 1931, victime d'un accident de la route. Revenant principalement sur les périodes allemande et américaine du cinéaste, Jean Douchet évoque également le parcours mais aussi la jeunesse du réalisateur de L'Aurore marquée par la petite bourgeoisie allemande et des études de l'histoire de l'art, avant de se passionner pour le théâtre puis la mise en scène. Passant en revue la direction d'acteurs de Murnau, les thèmes récurrents de son oeuvre, ses films perdus, l'évolution de son style et ses long métrages les plus célèbres (Nosferatu, Le Dernier des hommes, L'Aurore, City girl), ce module illustré par de nombreuses photographies et autres archives s'avère aussi passionnant qu'instructif.
Murnau ou qu'est-ce qu'un cinéaste (42min17)
Ecrit et réalisé par Jean Douchet à partir d'images du film, cet exposé sur L'Aurore, narré par trois voix disparates, se révèle pointu, parfois pesant certes mais finalement passionnant. L'historien du cinéma aborde le fond et la forme du chef d'oeuvre de Murnau en proposant dans une première partie une sorte de commentaire audio accéléré du film, puis analyse dans un second temps la mise en scène de Murnau proprement dite sans omettre de livrer quelques anecdotes du tournage. Le montage, la dimension fantastique du film (avec la scène de la tempête, ultime instrument de la puissance maléfique de la nuit), la chorégraphie et la disposition des personnages dans l'espace, les regards (y compris leurs directions), et même les cartons narratifs sont ici minutieusement disséqués. Jean Douchet développe les thèmes du film à savoir le déchirement d'un homme entre l'amour et le sexe, avec d'un côté l'objet aimé, désiré, sublimé, une jeune fille pure et parfaite, et de l'autre côté une femme extravertie, sexuelle, envoûtante et possessive. Murnau oppose d'une part le jour et la nuit, les sentiments nobles de l'amour et les pulsions les plus obscures, mais également l'innocence et la virginité de la campagne avec la mégalopole grouillante et corrompue. Evidemment cette analyse accumule les adjectifs et les qualificatifs mais elle permettra d'apprécier encore davantage L'Aurore en voyant l'oeuvre sous un oeil différent et plus analytique.
Four Devils (40min01)
Four Devils, sorti en France sous le titre Les Quatre diables, est un film réalisé par Murnau en 1928 entre L'Aurore et City girl, aujourd'hui perdu et demeurant inconnu du public. A partir de photos et d'archives (extraits du scénario, dessins préparatoires, critiques d'époque, avis provenant des projections-tests), ce module nous propose une reconstitution de ce long métrage mettant en scène Janet Gaynor et Mary Duncan dont l'histoire narrée était celle de quatre acrobates (orphelins recueillis par un clown), deux hommes, deux femmes parmi lesquels l'un fait chaque soir le saut de la mort au-dessus de spectateurs angoissés. Le trapéziste volant rencontre une belle mondaine au sang chaud (Mary Duncan) d'où un conflit entre son métier, son milieu et son amour. A l'instar de l'admirable reconstruction réalisée de La Femme au corbeau de Frank Borzage, celle-ci permet au spectateur de connaître un peu mieux une oeuvre malheureusement disparue. Parallèlement, nous y apprenons la situation du réalisateur allemand au sein de la Fox, une position affaiblie par le succès relatif de L'Aurore (pour lequel il disposait d'une carte blanche inédite à Hollywood) et dont les privilèges vont prendre fin durant le tournage de Four Devils. Ce documentaire en vient enfin à l'après-Four Devils en évoquant la ressortie du film un an plus tard dans une version parlante (sans l'accord de Murnau), et la production houleuse de son film suivant, City girl, qui allait précipiter le départ de Murnau d'Hollywood. Mais cet espoir de retourner en Europe sera malheureusement écourté car après le tournage de son dernier film américain (Tabou), le réalisateur meurt tragiquement dans un accident de voiture en mars 1931 à l'âge de 42 ans. En espérant qu'une copie de Four Devils soit retrouvée un jour, ce documentaire nous donne sérieusement l'eau à la bouche !
Le Retour à Murnau (26min)
Voici un étrange court-métrage réalisé par Pierre Guy en 1981, qui propose une fausse-reconstitution du dernier jour de F.W. Murnau, victime d'un accident de voiture le 11 mars 1931 sur la côte californienne juste après avoir achevé le tournage de son dernier film Tabou dans les mers du Sud. Si ce film a pour vocation de relater à sa manière les dernières heures du cinéaste allemand, on reste quelque peu perplexe devant l'entreprise et l'absence totale d'émotion. Froid et figé, ce "retour posthume" dans le village nommé Murnau a été tourné en langue allemande et tente maladroitement de mettre en apparence les liens tissés entre Murnau et son pays. En revanche, l'atmosphère distillée par les décors ne manquent pas d'attrait. Comme si le film se composait des images provenant des dernières pensées de F.W. Murnau au moment de son accident, Pierre Guy use du montage à la manière des Choses de la vie de Claude Sautet pour dresser un bilan rapide de la vie écourtée du cinéaste. Dommage que la forme desserve autant le fond.
Rushes et scènes supplémentaires (8mn52)
Issues d'une copie 35mm conservée par Harold Schuster, le monteur de L'Aurore, ces petites séquences coupées ou alternatives n'ont rien de bien vraiment original si ce n'est qu'elles sont introduites par des cartons d'explication présentant quelques petits secrets de fabrication du film (effets spéciaux directs, transparences, jeux de lumières, accessoires, lieux de tournage). Nous y apercevons entre autre la version intégrale du plan-séquence montrant la marche nocturne de la citadine (segmentée dans le montage final) ou une autre vue de la ville réalisée avec une fausse perspective sur le terrain de la Fox à Beverly Hills.
Blu-ray 2 - City girl
City girl, ou l'essence de l'Amérique (27min23)
John Bailey, chef opérateur sur des films aussi disparates que American Gigolo, Un jour sans fin et dernièrement Ce que pensent les hommes, a été caméraman sur le film culte de Terrence Malick Les Moissons du ciel en 1978 où il collabora avec le directeur de la photographie Nestor Almendros, lui-même très influencé par les films de Murnau. Tout au long de cet entretien, notre interlocuteur dresse quelques parallèles entre la photographie naturaliste de ce film avec celle de City girl de Murnau. Abondamment illustrée, cette analyse aborde tout autant la forme que le fond (le premier vrai film 100% américain de Murnau), John Bailey commentant par ailleurs quelques séquences du film (le moissonage, la course dans les champs de blé) via un écran géant, en s'attardant évidemment plus sur l'usage des ombres et de la lumière. Cette dissection de City girl est absolument passionnante.
Murnau et l'avènement du parlant (29min53)
C'est sur ce module pertinent qu'il faudra vous tourner afin d'y découvrir toutes les étapes de la production houleuse de City girl, de la genèse du film (préalablement intitulé Notre pain quotidien) au départ précipité de Murnau en plein tournage de la version muette, grâce aux brillantes interventions de Janet Bergstrom, auteur de nombreux essais sur F.W. Murnau et enseignante à UCLA (University of California, Los Angeles). A travers des extraits et photos de films ou des articles de presse, notre interlocutrice évoque les rapports du cinéaste allemand avec le producteur William Fox et surtout la version parlante du film, aujourd'hui disparue mais surtout responsable de la rupture de contrat volontaire et anticipée de Murnau. Comme nous l'indique Janet Bergstrom, la production singulière du film résulte de l'avènement du cinéma parlant entre 1928 et 1929 pendant le tournage même de City girl, et indique ironiquement que ce massacre artistique (la version originale a été amputée afin de durer à peine une heure en incluant 1/2 heure de dialogues) n'a connu aucune Première et n'a finalement été projeté que dans un seul cinéma newyorkais dans l'indifférence la plus totale. Regorgeant d'anecdotes et d'observations sur le fond et la forme qu'on n'aurait pas fini d'énumérer, ce segment s'impose comme étant le plus instructif et brillant de toute l'interactivité de ce coffret.
Le mouvement même de la pensée (27min34)
Comme l'indique Jean Douchet dans cette analyse présentée comme le segment "Murnau ou qu'est-ce qu'un cinéaste ?" présent sur le DVD des suppléments de L'Aurore, "Qu'importe qu'il n'ait point créé l'oeuvre grandiose dont il rêvait, puisque c'est plan à plan que Murnau cherche à exprimer sa pensée...et donc à développer le mouvement même de la pensée".
Il s'agit ici d'une analyse particulièrement poussée et brillante du mécanisme narratif, des thèmes abordés (le combat entre la noblesse vertueuse de la campagne opposée à l'univers tentateur et pernicieux de la ville tentaculaire) et de la mise en image propre à Murnau. Jean Douchet reprend inévitablement quelques arguments déjà entendus lors des deux segments précédents (le point de départ du film, sa production mouvementée) mais développe la thématique qui donne son nom au présent module, en s'arrêtant sur quelques séquences illustrant ce fameux "mouvement de la pensée" créant la dynamique narrative de City girl. Fourmillant d'anecdotes et de commentaires sur diverses séquences du film, nous apprenons entre autre que Murnau, étant parti en cours de tournage pour rejoindre Robert Flaherty à Tahiti pour y réaliser Tabou, continuait néanmoins de donner par lettre des conseils et suggestions pour améliorer la dernière partie de City girl. Mais le studio n'a finalement pas tenu compte de ces recommandations et les conditions de fin de tournage ont fait que ce film a été longtemps sous-estimé voire méconnu.
L'interactivité se clôt sur une galerie photos (1min39) et les credits du Blu-ray.
