Au-delà
Le 11/01/2011 à 11:10Par Arnaud Mangin
A sujet pas si éloigné, l'an dernier nous avions eu Lovely Bones, cette fois-ci c'est Au-dela... Certes, chacun concoure dans un style et une approche furieusement différents, mais le poids et surtout la déception qui en émane les rapprochent sans hésitation. L'un des plus grands réalisateurs américains succombe à tout ce qu'il avait eu l'intelligence de couvrir avec sobriété tout en s'étalant sans retenue dans son sirupeux habituel jusqu'au comateux pur et simple. Ne parlant finalement de rien avec ses allures de grand tout humaniste, Au-dela laisse presque croire que le bonhomme commence à yoyoter de la cafetière pour notre plus grand malheur. Jadis montré du doigt comme l'icône de la violence gratuite, Clint Eastwood succombe désormais à l'émotion gratuite. Sic !
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Critique Au-Delà
Question complexe : jusqu'à quel degré un réalisateur de talent et d'estime indiscutables peut-il maintenir son statut d'intouchable et mettre dans sa poche le gros de la culture bien pensante parfois aveugle, même lorsque les icones baissent leur garde jusqu'à gratter le sol ? Entre des gens comme Woody Allen ou les Frères Coen qui, même dans leurs exercices les plus pitoyables, arrivent à faire croire qu'ils cumulent les chefs-d'œuvre à tour de bras, Clint Eastwood semble ne pas diviser malgré quelques fastidieuses démonstrations. On a oublié Créance de sang parce que ça arrangeait tout le monde, pardonné à Gran Torino ses semelles de plombs parce que c'est Clint et plus ou moins vouvoyé l'échaudant Invictus. Seul L'Echange s'impose comme l'une des dernières œuvres maitresse du monsieur, paradoxalement son plus gros four au box-office ces dernières années. Au-dela enfonce malheureusement un clou à grand coups de masse : Clint Eastwood, ce n'est pas toujours génial et c'est parfois même assez mauvais. C'est carrément le cas ici. Un peu vendu/annoncé/espéré comme un thriller simili-fantastique, son nouveau film brille par sa sénilité grossière qui le ferait presque passer - on vous le jure - pour du Nicole Garcia à peine américanisé. Il va falloir accepter l'idée que le réalisateur d'Impitoyable, de Mystic River et Sur la route de Madison s'amuse désormais à filmer Cécile de France qui dépose un colissimo au bureau de Poste du coin de la rue.
D'ailleurs, on est un peu injuste en qualifiant le film de Nicole Garcia-like puisque ce n'est pas que ça. Ca l'est à 70%, mais pas que... Ajoutons lui un peu de sous-Shyamalan, de Charles Dickens remis au gout du jour (à qui il fait de grossières allusions pour ceux qui n'auraient pas compris) et même une pointe de Roland Emmerich dans sa spectaculaire introduction nous envoyant un uppercut dont on ne se relèvera jamais... Pas à cause du coup, d'ailleurs, mais de l'assommante triple histoire qui suivra. Des bases s'étalant sur plus de deux heures et trahissant une absence d'enjeux absolument déconcertante. Eastwood aime ses personnages, c'est une évidence, mais il les aime beaucoup trop. Reflet édifiant de son obsession sur la fin de vie qu'il nous affuble cycliquement depuis environ 15 ans, ils ne semblent être là que pour nous dire que la mort c'est une chose qui nous pourrit la vie et que la meilleure façon de vivre, c'est vivre. Ca fait cucul raconté comme ça, mais c'est pourtant la seule audace thématique d'un spectacle terriblement faiblard dans ses sentiments et lourd dans son approche. Trois portraits à la fois antinomiques et complémentaires (un médium maudit, un ersatz de Christine Ockrent et un Oliver Twist new-age) confrontés à la mort dans un parcours initiatique sans fin. Passé sa première heure pas si désagréable, admettons-le, le film confine ensuite à l'exaspération.
Non seulement c'est long et d'une énergie rébarbative (le trio ne prend physiquement forme que dans ses dix dernières minutes) mais en plus l'illumination sentimentale prend l'aspect d'un grand n'importe quoi enjolivé dans un final à la lisière du médiocre. On comprend les intentions et, qu'après s'être auto-canonisé dans son avant-dernier film, Clint souhaite passer un relais positif à la jeune génération mais il le fait avec une maladresse impensable. Ne serais-ce que sur les échanges entre adultes et enfants, à des années lumière de son magnifique Un Monde parfait avec qui il partage pourtant bien des choses. Au final, seule une charmante bluette secondaire entre Matt Damon et Bryce Dallas Howard laisse espérer que le cinéaste ne sucre pas encore les fraises même si à force de trop vouloir se conforter dans l'auteurisant pur, il succombe à une espèce de rien, sans vie. Et quand bien même lorsqu'il s'essaie aux clichés du "genre" (les visions de l'après vie échappées d'un mauvais téléfilm fantastique) ou le tire-larme de rigueur, ça ne fonctionne tout simplement pas. Clint Eastwood a voulu faire un film sur les gens et c'est bien. Mais, peut-être n'en n'avait-il pas conscience, il l'avait déjà fait de nombreuses fois auparavant et en beaucoup mieux.