Derrière les murs
Le 05/07/2011 à 18:02Par Michèle Bori
Lorsque les thèmes des nouvelles de Maupassant rencontrent l'ambiance pesante du cinéma de fantômes espagnol, avec en prime la technologie relief 3D comme prisme de vision, cela donne Derrière les murs, un film en 3D à la croisée des âges qui fait le pont entre une certaine tradition fantastique française et l'actuelle hype du cinéma de genre. Une réussite formelle et sensorielle, qui se paye le luxe d'être l'un des films français les plus flippants de ce début de siècle. Découvrez ci-dessous la critique de Derrière les murs de Pascal Sid et Julien Lacombe.
Derrière les murs - Critique
La mode est aux high-concepts. Aux pitchs accrocheurs, qui en deux trois phrases bien tournées permettent de se faire une idée globale sur un film sans avoir à passer par une fastidieuse lecture de synopsis. Du coup, pour faire simple nous dirons simplement : Derrière les murs, c'est Maupassant qui rencontre le cinéma de genre espagnol, avec Laetitia Casta et en 3D. Et mieux encore : Derrière les murs, c'est le film qui va peut-être réconcilier le public avec la mode de "l'horreur à la française". En effet, de par son pitch et son traitement, Derrière les murs a indubitablement sa place dans la catégorie "film de genre français", catégorie qui fait couler beaucoup d'encre depuis 5 ans. Mais pourtant, ce premier film du tandem Julien Lacombe / Pascal Sid n'est pas vraiment à mettre dans le même panier que les récentes tentatives françaises - qui au mieux pouvaient se montrer fun et généreuses, ou au pire plongeaient le spectateur dans la léthargie ou l'énervement. Derrière les murs se démarque en effet de ses prédécesseurs par trois points ayant leur importance : son background, ses influences et son relief. Trois points comme autant de raisons de l'apprécier, comme autant de qualités qui en font une œuvre réellement unique.
Derrière les murs s'inscrit dans une écriture et un contexte typiquement français. Là où certains seraient allés piocher dans quelques gimmicks d'outre-Atlantique pour créer leur univers, Pascal Sid et Julien Lacombe se servent de la littérature hexagonale (et pas n'importe laquelle !) comme principale source d'inspiration de leur film. En découvrant ce film, les réminiscences de la vague fantastique du XIXe siècle (De Nerval, Gautier, Nodier et bien sûr Maupassant) se feront immédiatement ressentir. Tout y est : l'isolement, la folie, la paranoïa, le rapport à la Mort, au diable ... des thèmes qui peuvent paraitre "sommaires", "désuets", mais qui représentent peu ou prou les bases du fantastique Made In France. Ironie de la chose donc : c'est en embrassant une certaine tradition littéraire vieille de deux siècles que le film de Lacombe et Sid se paye le luxe de se démarquer. Dans son histoire, dans sa narration, dans ses personnages et même dans son final, Derrière les murs est un film thématiquement atypique, car extrêmement classique. Mais en même temps résolument moderne. Et c'est d'ailleurs là que réside son charme.
Il réussit la où beaucoup avaient échoué : il fait peur !
Moderne oui, car dans son traitement, il s'agit là d'un film qui ne s'inscrit pas dans cette espèce de revival du cinéma des années 70 (époque bénie des réalisateurs de genre(s) qui connait une forme de liberté, certes réelle, mais qui ne colle plus aux attentes du public moderne) mais qui cherche plutôt à s'inspirer de ce qui se fait de mieux actuellement : le cinéma de chocottes espagnol. Car il faut bien l'avouer, aujourd'hui ce sont nos cousins ibériques qui tiennent la dragée haute à Hollywood, en sortant régulièrement des œuvres marquantes qui cartonnent à travers le monde entier. Et en s'inscrivant dans cette mouvance, en misant sur la tension et l'atmosphère plutôt que sur la multiplication des séquences trash, Derrière les murs se rapproche de films comme Les Autres, L'orphelinat ou Abandonnée et triomphe là où beaucoup avaient échoué : il fait peur ! Car on aurait presque tendance à l'oublier, mais la peur, si souvent prise de haut, est bien un sentiment recherché au cinéma. Ici, nombreux sont les instants où l'on sursautera dans notre siège. Nombreuses seront les séquences qui nous feront planter nos ongles dans nos accoudoirs, mordre nos lèvres voire carrément fermer les yeux, selon notre degré de tolérance à la peur. Et, cerise sur le gâteau, ce sentiment sera fortement renforcé par l'utilisation de la 3D relief, qui est à ce jour l'une des plus intéressantes (et impressionnantes) que l'on ait pu voir dans un film live.
Ainsi, en jouant constamment sur la netteté et la proximité des arrières plans (la fameuse "profondeur" dont on parle souvent lorsqu'on aborde le relief), Sid et Lacombe s'amusent avec nos nerfs en nous laissant penser que le danger peut venir de partout, presque tout le temps. Une utilisation diablement efficace et très pertinente de ce procédé (hélas si souvent galvaudé) qui confère au film une "dimension" scénique ambitieuse, bien plus audacieuse que nombre de films de genre modernes. De ce mariage intéressant entre classicisme (de par ses thèmes), modernisme (de par son traitement) et post-modernisme (de par sa technologie) nait donc Derrière les murs, une véritable proposition de cinéma comme on en voit peu chez nous. Certes, il y aura toujours des raisons de regretter que la réussite ne soit pas totale. On pourrait par exemple trouver le personnage central du film (incarné par Laetitia Casta) un peu trop froid et donc peu enclin à l'empathie. On pourrait également trouver que certaines intrigues secondaires soient un peu trop brièvement exploitées. Mais ce serait vraiment chercher la petite bête ... Car en l'état, difficile de ne pas se montrer conquis par ce film qui, on l'espère, convaincra le public que la French Frayeur n'est pas à mettre de côté, et qu'elle est toujours là pour hanter nos nuits.
Critique de Derrière les Murs publiée le 20 mai 2011.