I'm still here
Le 20/06/2011 à 15:58Par Camille Solal
Critique I'm still here
Nul besoin de citer Eisenstein, Buñuel, Riefenstahl ou Flaherty pour démontrer que la question de l’objectivité dans un documentaire reste encore aujourd’hui sujet à débats et controverses. Pourtant ici, à l’instar d’Incident au Loch Ness de Zak Penn ou de Forgotten Silver de Peter Jackson, le scandale a été soigneusement préparé, habilement minuté et consciencieusement écrit. Le sujet du film ? La star de cinéma Joaquin Phoenix (Gladiator, La Nuit Nous Appartient) prend sa retraite du métier d’acteur, se laisse pousser la barbe et les cheveux, néglige son hygiène et se lance dans le milieu du rap, le tout devant la caméra de son beau-frère, l’acteur Casey Affleck (Gone Baby Gone, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford). Une reconversion qui sème le doute, d’autant que le jeu va durer près de deux ans et alimenter les choux gras de la presse toujours au rendez-vous de la dernière sortie publique d’un Joaquin Phoenix pathétique, prompt à créer l’évènement de par ses nouveaux et constants dérapages. Pourtant, en septembre 2010, le ballon de baudruche explose, Casey Affleck avoue, en marge de la sortie du film aux Etats-Unis qu’I’m Still Here est effectivement un faux documentaire. "Je n’ai jamais voulu piéger personne. L’idée d’un canular ne m’a même pas traversé l’esprit" s’est ainsi défendu le réalisateur au quotidien The New York Times. Un aveu étonnant qui s’avère pourtant nécessaire : si durant toute la durée du tournage le public et les médias ont été les victimes du canular, désormais, pour que le spectateur adhère au film, les deux compères doivent l’inclure dans la private joke, ne plus le prendre de haut, faire de lui un complice et un compagnon de rire. Ou quand dindon de la farce redevient, quand il le faut, un simple consommateur.
Si une fois devant le film le fait de savoir que tout n’est que supercherie pose le spectateur dans une situation très confortable (les clés en main il peut à souhait rire des victimes du duo et repérer leurs multiples complices), il lui est pourtant difficile d’adhérer complètement à la blague, la faute à une représentation des rouages du star-system qui n’arrive jamais vraiment à étonner voire fasciner un public déjà bien trop conscient des excentricités de ce milieu. En effet qui, en 2011, sera choqué de voir une célébrité en pleine orgie avec des prostituées, sniffant un rail de coke long comme un bras ou descendant des bouteilles de Jack Daniels comme du petit lait ? Malheureusement, la réponse ne fait qu’accentuer le manque de profondeur d’un "scénario" qui accumule les séquences redondantes, alternant scènes initimistes (de loin les plus réussies) et sorties médiatiques savamment orchestrées (afin de varier les sources d’informations et accentuer le sentiment d’omniscience du spectateur). Si l’idée aurait pu être efficace, il n’en reste pas moins que le film souffre des cadrages très sommaires d’une caméra épaule peu inspirée et d’un montage au rythme poussif qui n’arrive jamais à embarquer le spectateur.
Il devient dès lors très difficile pour ce dernier de ressentir une quelconque forme d’empathie pour la souffrance de cet homme en quête de rédemption. Et ce n’est pas l’humour graveleux et scatologique qui changera la donne. Pourtant, au-delà de ces carences techniques parfaitement imputables au genre même du documentaire, le film arrive à toucher en de rares mais précieuses occasions, toujours par l’interprétation d’un Joaquin Phoenix époustouflant de justesse. En effet, s’il n’atteint certes pas le célèbre manipulateur Andy Kaufman (brillamment interprété par Jim Carrey dans Man on the Moon de Milos Forman) et encore moins la tornade Sacha Baron Cohen (Borat), l’acteur prouve ici qu’il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il dépend de lui-même, qu’il se retrouve seul devant la caméra, dévoilant au spectateur les plaies à vif de l’âme torturée de son personnage. Finalement, on aurait pu s’attendre à une étude sociologique esquissée en filigrane, une dénonciation ou même, pourquoi pas, une résignation face à la toute-puissance du star system. On se serait peut-être même mis à rêver d’un nihilisme que n’aurait pas renié Bret Easton Ellis. Mais au final, rien de nouveau sous le soleil hollywoodien, juste un morceau de péloche un peu craspec, très caricatural (dont la-pourtant-jolie-scène-finale) une farce d’un autre temps (jusqu’à la séquence d’ouverture avec de fausses images d’archives), tout juste sauvée de l’ennui par l’interprétation inspirée d’un Joaquin Phoenix exemplaire, mais qu’on préfèrera toujours magnifié ailleurs… Oui, chez James Gray.