L'attaque du métro 123
Le 17/06/2009 à 09:59Par Michèle Bori
On attendait L'attaque du métro 123 comme un gros défouloir capable de dynamiser un concept vieux comme Hollywood. Manqué, le film de Tony Scott n'est pas le thriller survitaminé escompté, puisque plombé par une chute de rythme dans sa seconde partie, il échouera à fournir pleinement son quota de sensations fortes. Mais là où ce film perd en suspense, il y gagne en profondeur et en richesse thématique, grâce notamment à une opposition entre deux personnages charismatiques (parfaitement exploitée dans une première partie menée tambours battant) et un sous-texte légèrement rentre dedans. Tony Scott a donc eu un petit coup de mou compréhensible après les trois claques que furent Man on Fire, Domino et Déjà-Vu, mais malgré cela, le fait est qu'un film de Tony Scott, aussi mineur soit-il, reste toujours une curiosité à découvrir. Ne serait-ce que pour s'étonner, une fois encore, de l'audace d'un homme qui malgré trente ans de bons et loyaux services pour les studios américains, ne s'est toujours pas fait bouffer par le système.
Après un Déjà-vu qui nous avait laissé scotchés dans notre siège (ah, cette poursuite en voiture !), Tony Scott est de retour ! Entouré de quelques fidèles, dont Denzel Washington et Brian Helgeland (scénariste de Man on Fire, mais aussi de Mystic River), il s'attaque aujourd'hui à l'adaptation d'un roman écrit par Morton Freedgood, intitulé Arrêt Prolongé Sous Park Avenue, qui donna déjà naissance au film les Pirates du métro, réalisé par Joseph Sargent en 1974. Dans L'attaque du métro 123, Washington incarne Walter Graber, un aiguilleur de métro lambda, chargé de gérer une situation tendue qui lui tombe dessus un peu par hasard : la prise en otage d'une rame de métro par une bande de "terroristes". Un postulat de départ simple et efficace, légèrement old-school, qui va permettre à Scott d'opposer deux personnages antinomiques (une constante dans plusieurs de ses films, dont bien sûr USS Alabama et Le Fan), tout en dressant une toile d'araignée scénaristique aux enjeux à la fois psychologiques et idéologiques. En effet, sous couvert d'une histoire de négociations dans la plus pure tradition Hollywoodienne, Tony Scott nous livre un film sur l'hypocrisie, dont l'incarnation à l'écran n'est pas, chose étonnante, le méchant de l'histoire (John Travolta), pas non plus le héros, mais l'univers qui les entoure. Dans le film, ce sera la ville de New York et ses habitants, société à la mémoire courte, capable d'ériger un homme en héros avant de le jeter aux oubliettes (ou le contraire) mais aussi et surtout incapable de voir les limites de son propre fonctionnement sans foncer dans le mur. Une dénonciation pas si éloignée de celle décrite dans Spy Game, dans lequel une poignée de pontes du Pentagone se faisaient avoir par un système qu'ils avaient eux-mêmes mis sur pied. L'attaque du métro 123 prend alors des airs de réquisitoire, dénonçant pêle-mêle le capitalisme sauvage, les rapports des médias aux cours boursiers et l'égoïsme bête et méchant, personnifié par un maire de New-York faux jeton (James Gandolfini) dont la punch line de fin résumera tout le personnage. On comprend donc un peu mieux ce qui a pu intéresser Helgeland dans ce sujet, lui qui avait déjà abordé cette dernière thématique (l'individualisme) dans L.A. Confidential, Payback et Man on Fire. Et même si ce sous-texte transpire de manière parfois facile à l'écran, il a néanmoins le mérite d'être présent tout au long du film et de ne pas se pointer comme un cheveu sur la soupe dans les deux dernières bobines, histoire de "faire intelligent".
Cependant, malgré un deuxième degré de lecture particulièrement prenant, on reste avec Tony Scott dans du divertissement pur et dur. Hélas, une fois n'est pas coutume avec le réalisateur de Top Gun, c'est au niveau du rythme et de l'action que L'attaque du métro 123 trouve son talon d'Achille. S'il s'avère haletant dans sa première moitié (la confrontation téléphonique entre Washington et Travolta sur fond de course contre la montre ... Spy Game n'est pas loin encore une fois), grâce notamment à la mise en scène "dans l'urgence" de Scott, le film finit vite par tomber dans quelque chose de plus prévisible, de plus "mou" (toutes proportions gardées). Dès lors que Washington raccroche son téléphone pour aller se confronter directement aux bad-guys, le souffle s'effondre un peu, la faute essentiellement à un manque d'originalité plombant (et ce, malgré une course en bagnole bien bourrine) et à une transformation incompréhensible du personnage de Walter Garber, passé du rang de simple aiguilleur à celui d'action-man façon Creasy de Man on Fire. Scott tente bien par moment d'insuffler un peu d'émotions à son histoire, hélas, trop caricaturales, trop factices, ces scènes sensées être dramatiques et poignantes tombent à plat. Pas de bol pour Denzel Washington, dont la prestation ici n'égale donc jamais celles de Man on Fire, de Déjà-Vu, ou même d'Inside Man (Spike Lee), dans lequel il jouait également les négociateurs. De son côté, John Travolta joue les méchants de la même façon qu'il joue les méchants depuis Broken Arrow (dans Volte-Face, Opération Espadon, The Punisher et Battlefield Earth), c'est à dire en cabotinant. Mais pour le coup, on appréciera le parti pris d'Helgeland et Scott sur ce personnage, qui en dévoilant un aspect de son passé arriveront à rendre plausible et justifié ce sur jeu constant, à la limite du grand guignol. Malheureusement, on se retrouve tout de même avec un film coupé en deux, dont le rythme ne fait que décroître pendant 1h45, jusqu'à un climax manquant cruellement de panache. Une première chez Tony Scott, lui qui a toujours su raconter des histoires de manière punchy !
Pourtant, même si sa relecture des Pirates du métro n'est pas son œuvre la plus marquante, loin de là, elle a le mérite de s'inscrire dans une continuité logique qui s'ancre parfaitement dans sa dialectique Scott-ienne. Car malgré tout ce qu'on peut dire sur Tony Scott, une vérité demeure : depuis Ennemi d'Etat sorti il y a dix ans, le bonhomme a réussi à se créer une patte unique qui fait qu'aucun de ses films ne pourra jamais être taxé de "produits de studios". Cette patte, identifiable à des kilomètres, est devenue sa marque de fabrique, la raison pour laquelle on peut considérer que Tony, contrairement à son frère, a su se détacher de son statut de "yes-man culotté" des années 80 (période Flic de Beverly Hills 2) pour devenir le chien fou du système, un homme qui à soixante ans passés arrive à mettre en images des bobines plus osées visuellement (et parfois émotionnellement et thématiquement) que le tout-venant Hollywoodien. Parfois immitée mais jamais égalée (Mise à Prix de Joe Carnahan par exemple), cette patte ne se résume pas uniquement à quelques effets de style réducteurs basés sur une mise en scène bidimensionnelle, des expérimentations colorimétriques et des montages sous acide. Non, en approfondissant à chacun de ses films son travail sur l'espace (Ennemi d'Etat, Man on Fire), le temps (Spy Game, son court métrage Beat the Devil) voire sur l'espace-temps (Déjà-Vu), et en proposant quelques thématiques récurrentes telles que le sacrifice, les rapports de forces et l'amour impossible (True Romance, Agent Orange ou Top Gun si l'on en croit Quentin Tarantino), Tony Scott est devenu un "auteur", un vrai, dont la filmo, bien que blindée de blockbusters, forme un ensemble cohérent loin d'être dépourvu de sens. Ils sont peu dans son genre, trop peu hélas pour faire le poids face à une horde de têtards tout juste bons à dire amen aux costards cravates des grands studios. Tony Scott est en quelque sorte un des derniers représentants d'une lignée quasiment éteinte de réalisateurs de films d'entertainment des années 80/90, qui arrivaient à respecter un cahier des charges énormes tout en insufflant des problématiques personnelles à chacun de leurs films. James Cameron ne tourne plus que pour faire évoluer son Art, Paul Verhoeven est dégoûté des studios, John McTiernan s'est embourbé dans quelques déboires judiciaires et le grand frère Ridley ne convainc pleinement qu'une fois sur deux. Tony lui est toujours là, il a toujours la même rage et le même amour du too-much que lorsqu'il filmait Tom Cruise en train de jouer au volley sur du Van Halen. Et pour cela, parce qu'il s'agit de l'œuvre d'un cinéaste et pas d'un producteur, son Attaque du métro 123 vaut plus le détour que nombre d'actioners sortis cette année.