Interview A bout portant : Fred Cavayé
Le 02/12/2010 à 13:20Par Arnaud Mangin
Après avoir rencontré un joli succès d'estime avec Pour Elle, Fred Cavayé est un réalisateur heureux puisque son nouveau film d'action, A Bout pourtant, est très bien accueilli par la presse et les spectateurs l'ayant découvert lors des avant-premières. A l'occasion de la sortie du film le 1er décembre 2010, nous l'avons rencontré pour parler avec lui de ce cinéma un peu mis sur la touche dans le paysage audiovisuel français.
Quand on regarde l'affiche d'A bout portant, tout sonne très américain : l'image, la tagline, etc... La rareté de ce type d'accroche dans le cinéma français est représentative de la cruelle absence de films de genre chez nous. Quel est votre regard sur cette situation ?
Fred Cavayé : En ce qui concerne l'affiche en elle-même, je la trouve plutôt flatteuse dans le sens où elle indique "Par le réalisateur de Pour Elle", ce qui fait effectivement très américain. Et encore, je ne suis pas certain que cela parle à tout le monde. Le film a eu un succès d'estime mais n'a pas déplacé les foules non plus. En tout cas, par ce biais, nous essayons de dire : "C'est un film français devant le quel on n'est pas obligé de se faire chier". Ce qui est également rare en France, ce sont les affiches qui donnent envie ou qui accrochent. Je crois que l'on a perdu cette notion de cinéma populaire, cette manière de créer une connivence avec le public, de donner envie aux gens de se déplacer. Dans les années 70, les Français avaient l'habitude d'aller au cinéma pour voir des films comme ça. Peur sur la ville d'Henri Verneuil ou Le Choix des armes d'Alain Corneau faisaient partie d'un cinéma populaire de qualité et n'avaient aucun mal à se monter. Ça n'existe pratiquement plus chez nous et ça me manque. C'est en tout cas vers ce type de plaisir que je tente de me rapprocher.
Comment attire-t-on à nouveau les faveurs d'un public qui n'est plus habitué à cela aujourd'hui ?
Je m'appuie sur les retours. Ce qui me fait vraiment plaisir, c'est lorsque les gens me disent "Je me suis vraiment éclaté, j'avais l'impression d'être devant un film américain". Je me réjouis, mais en même temps, ça me fait peur parce que lorsque les gens constateront devant l'affiche que c'est un thriller français, ils refuseront d'y aller, justement parce que c'est français. C'est dommage de raisonner comme ça parce que l'on assiste à l'émergence d'une nouvelle génération de réalisateurs très doués, et qui s'orientent vers un cinéma au caractère très anglo-saxon. Je ne sais pas si, sur le plan qualitatif, on peut faire aussi bien que les Américains, mais il est certainement possible de procurer autant de plaisir au public.
La force d'A bout portant c'est qu'il est simple, qu'il aborde des thèmes très accessibles et élémentaires typiques du cinéma populaire. Était-il important pour vous ne pas basculer dans l'hommage poussif ou de vouloir véhiculer des thèmes de fond pas forcément nécessaires pour ne penser qu'au plaisir de l'instant ?
Vous avez employé les mots "simple" et "plaisir". Cela résume tout et le film n'a aucune autre prétention. Quand on veut réussir un film comme celui-ci, on évite de trop se gargariser et l'on essaie de comprendre quels sont les ingrédients qui font fonctionner le film. Et ces ingrédients, je les ai piochés dans des films qui m'ont plu en tant que spectateur lambda et ils se sont effectivement révélés plutôt simples. D'ailleurs, "simple" ne veut pas dire idiot. Ce qui est marrant en France, c'est que les mots "simple" et "efficacité" résonnent comme des gros mots, et je suis parfois obligé quand je vends mes films de rajouter derrière "dans le bon sens du terme", comme pour justifier cette légèreté délibérée. C'est l'un des problèmes de l'industrie française : on est presque obligé de s'excuser d'être sympa. C'est malheureux d'en arriver là. Mon envie première c'est surtout de faire du cinéma de spectateurs.
Faire vivre une expérience et passer un bon moment, tout simplement...
On fait du cinéma pour soi ou pour les autres ? Des gens vont payer leur place et je veux qu'ils se cramponnent à leur fauteuil... Le cinéma, c'est toute ma vie. Et un film, ça occupe environ deux ans de cette vie. Pour les gens normaux, c'est seulement un loisir d'1h30 ! Les professionnels du milieu du cinéma ont trop tendance à penser que tout tourne autour de cela, alors que dans le monde réel, les gens vont voir ton film le samedi soir et ont autre chose à penser lorsqu'ils sont à leur travail le lundi. On m'a dit "Il est chouette ton film, on dirait un film du dimanche soir"... Je prends ça comme un compliment, parce que lorsque j'étais môme, j'adorais regarder les films le dimanche soir et j'oubliais un peu que j'allais à l'école le lendemain...
Employer l'expression "dans le bon sens du terme", signifie néanmoins qu'il y a un cinéma populaire "dans le mauvais sens du terme" que l'on voit de plus en plus et qui porte peut-être préjudice à l'image que les gens se font du cinéma français. Les films du mardi soir, en quelque sorte...
Je suis d'accord. Depuis quelques temps, l'expression Cinéma populaire est souvent galvaudée et c'est ce qui fait qu'on est parfois obligé d'accentuer l'aspect positif des bons films. Je suis le premier à déplorer tout cette manne commerciale de films faits pour de mauvaises raisons, qui ciblent le public de façon captive à grand renfort de stars de la télé. C'est d'ailleurs un motif suffisant pour que l'on se batte pour faire des films funs et qui viennent du cœur. Ce n'est pas forcément un gage de réussite, mais ce qui compte pour moi, c'est qu'un film soit fait pour les bonnes raisons. Qu'on y décèle une véritable sincérité, parce que cette démarche finit toujours par être récompensé. Lorsque mon coscénariste Guillaume Lemant et moi-même collaborons, on cherche vraiment à faire le cinéma qu'on aime. Quand on fait courir Gilles Lellouche, on ne le fait pas pour des prétextes pyrotechniques, mais parce que c'est un cheminement iconique du héros de cinéma. Foncer, se rendre d'un point A à un point B avec noblesse. C'est le chevalier qui va sauver la princesse... Cela peut paraitre prétentieux de dire que l'on fait du cinéma sincère, mais ce type de films provoque vraiment une gamme d'émotions qui me parlent profondément.
Comment trouver l'équilibre entre cette sincérité, cette volonté de ne pas tomber dans la facilité et la générosité que nécessite quand même un film d'action ? La séquence du métro, par exemple, propose du long et grand spectacle et aurait pu se limiter qu'à un court échange...
Il faut savoir être ludique, parce que c'est surtout cela qui entretient le plaisir. On est sur un fil, c'est sûr, mais la certitude, c'est que si je ne propose pas une poursuite de ce genre dans un film comme celui-ci, je manque à mon devoir. Et le métro, c'est un cadre qui permet d'exploiter de nombreux contextes avec lesquels on peut jouer de plusieurs façons. La scène dure sept minutes et je l'ai pensée comme une attraction du type de Space Mountain. Elle se calme, on pense qu'elle est finie et paf, ça repart de plus belle ! Je ne suis pas le premier à le faire puisque French Connection et Peur sur la ville sont passés par là avant, mais ce genre de scène a fait ses preuves.
Le parallèle avec Peur sur la ville est assez évident dans cette scène. Était-ce une inspiration concrète ?
Dès que j'écris un passage comme celui-ci, je pense forcément à Peur sur la ville ! La chose amusante, c'est que Jean-Paul Belmondo a demandé l'autorisation de voir le film. Quand on sait le monument qu'il est, on se doute bien que cette demande a fait ma journée : "Jean-Paul Belmondo veut voir ton film". A la fin de la semaine, j'ai organisé une projection exprès pour lui. D'autre part, j'ai eu beau me réjouir de l'accueil général du film, quelques jours plus tard, j'avais à nouveau avoir huit ans. Pour l'occasion, j'ai décidé de revoir Peur sur la ville pour en parler avec lui et me mettre à nouveau à la page. Et là, j'ai constaté qu'il y avait une scène dans le film où il descendait un escalator dans le sens inverse de la marche. Or c'est exactement au même endroit que l'on a tourné un passage similaire dans A Bout Portant. C'est une référence, mais totalement inconsciente... On finit par reproduire des choses sans même s'en rendre compte. Il y a quand même un bon paquet d'escalators dans Paris, j'en ai regardé plusieurs pour faire mon choix et c'est celui-ci que j'ai préféré. Il y avait une chance sur combien que cela arrive ?
Il y a aussi un paquet de stations un peu regroupées en une seule. On rejoint là encore un peu l'esprit du cinéma américain qui, dans l'intérêt du spectacle, recréé un best of de plusieurs réalités pour en faire une seule idéale...
C'est vrai. Pourtant j'ai essayé de faire très attention à cela. Mais effectivement, les Parisiens le remarqueront. Disons que j'ai essayé d'être le plus cohérent possible dans les couloirs et les dédales qui sont pour moi vraiment représentatifs de la vie parisienne en sous-sol : Saint-Lazare, Auber, Opéra, etc... Toutes ces stations sont un peu mixées dans la scène mais l'ensemble reste homogène. En revanche, il est vrai que le raccord avec l'extérieur est un peu plus voyant. La station dans la quelle il pénètre est assez éloignée de celle par laquelle il ressort... C'est une chose inhérente au cinéma d'action et je l'accepte si ça sert le rythme du film.
C'est vrai que dans Die Hard 3, Bruce Willis traverse New York en deux minutes et ça n'a pas gêné grand monde...
Nous sommes dans un registre de cinéma que j'appelle "réalité + 1". J'essaie de poser des personnages qui transmettent des émotions réelles et de les placer dans un univers qui triche avec la réalité. Restituer fidèlement la réalité au cinéma n'est pas forcément un bon point parce que personne n'y croirait, aussi paradoxal que ça puisse paraître. Prenons un liftier dans un hôtel : si j'utilise le même dans un film, personne n'y croira. Un notaire, pareil... Dans un souci d'accessibilité, nous sommes obligés de tricher. Encore plus avec un film comme celui-ci, même s'il y a un équilibre à respecter parce qu'à force de jouer avec le faux, on peut perdre tout le monde. C'est l'une des grandes difficultés du cinéma de genre. Ce qui est amusant, c'est que les spectateurs m'interpellent sur différents éléments, comme cette histoire de métro, mais jamais au même endroit. Cela veut dire que chacun a sa propre perception de la réalité. Il devient donc presque illusoire de vouloir la reproduire fidèlement.
Avec Pour Elle et A Bout portant, vous avez pu enchaîner coup sur coup et rapidement deux thrillers d'action, deux films de genre. Ce qui est rare, voire inconcevable en France. Est-ce que cela signifie que vous avez trouvé la bonne recette qui a fini par convaincre tout le monde ?
Le seul objectif que je m'impose lorsque j'écris mes scenarii, c'est de pouvoir lier les films de genre avec le cinéma populaire. En assumant le côté populaire, je laisse une chance aux spectateurs de venir voir le film et par conséquent d'intéresser les producteurs et les chaînes de télévision. Il ne faut pas avoir honte de vouloir rassembler le plus grand monde. J'ai eu la chance que Pour Elle fasse 700 000 entrées et cela m'a permis d'enchaîner rapidement sur celui-ci. C'est là que tout va se jouer, le mercredi 1er décembre. Je saurais si je peux passer à l'étape suivante, à savoir confirmer les choses dans lesquelles je me suis engagé. Faute de quoi, le cahier des charges sera forcément revu à la baisse. Normalement un réalisateur ne devrait pas penser à tout cela lorsqu'il conçoit son film, mais ce sont des éléments tellement déterminants que l'on est obligé d'en tenir compte.