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Sabina Guzzanti : portrait et interview

Le 29/10/2010 à 13:22
Par
Portrait et interview de Sabina Guzzanti, réalisatrice de Draquila

Personnalité contestataire de la scène médiatique italienne, Sabina Guzzanti est en quelque sorte le pendant italien et féminin de Michael Moore, dont elle a souvent dit se sentir très proche. Née à Rome en 1963 et diplômée de l'Académie d'Art Dramatique, elle est la fille d'un célèbre journaliste politique italien, Paolo Guzzanti. Réalisatrice de documentaires, actrice de cinéma et de théâtre, comique et imitatrice, elle se fait connaître à la fin des années 80 la télévision, avant de débuter sur le grand écran devant la caméra de Giuseppe Bertolucci dans I cammelli en 1988 puis Troppo sole en 1994. Sur la scène théâtrale, elle fait notamment parler d'elle grâce à ses imitations de personnalités politiques (Silvio Berlusconi, Massimo d'Alema).

 

En 2003, Guzzanti défraie la chronique avec sa participation à  l'émission satirique Raiot sur Rai 3, un programme qui sera suspendu par les dirigeants de la chaîne pour son caractère subversif.

Décidée à se battre pour la liberté d'expression, Sabina Guzzanti réalise en 2005 le docu-fiction Viva Zapatero! qui dénonce la main mise du gouvernement sur les media. Après le succès du film, présenté au Festival de Venise, elle revient derrière la caméra en 2007 avec Le regioni dell'aragosta (Les Raisons de la Langouste), où plusieurs acteurs comiques de l'émission Avanzi se réunissent pour venir en aide aux pêcheurs contre l'extinction des langoustes, et donc de leurs revenus.

 

Portrait et interview de Sabina Guzzanti, réalisatrice de Draquila


Présente sur tous les fronts - au cinéma, à la télévision, dans la musique ou au théâtre -, Sabina Guzzanti provoque régulièrement la polémique dans son pays mais demeure très populaire auprès du public.

Le 6 avril 2009, un tremblement de terre dévaste toute la ville de l'Aquila et fait plus de 300 morts. Un an plus tard, plus de 50 000 victimes sont toujours sans abri. Dans les salles le 3 novembre prochain, Draquila, l'Italie qui tremble est son quatrième long métrage et s'intéresse à la gestion du séisme par le gouvernement Berlusconi. Alors au fond du trou dans les sondages suite à de multiples scandales, ce dernier a profité de la catastrophe naturelle pour se refaire une popularité, contournant les lois pour mener sa propagande, bafouant les droits des victimes et supprimant leurs libertés tout en se faisant passer pour un bienfaiteur à travers les media. L'Italie y a cru à l'époque, nous aussi. Mais l'envers du décor fait froid dans le dos. Très novateur sur le plan narratif, le film délivre avec un humour acide une analyse terrifiante de la politique de Berlusconi et dévoile le véritable visage de l'aide humanitaire apportée aux victimes. Quand un président en arrive au point de gérer un pays comme son propre bien, la réalité dépasse parfois la fiction.

 

Présenté au Festival de Cannes, Draquila, l'Italie qui tremble a également fait trembler de rage le gouvernement Berlusconi. Les réactions ne se sont pas fait attendre : boycott du festival par le ministre de la culture Sandro Bondi, menaces par la ministre du tourisme Michela Brambilla de poursuivre en justice Sabina Guzzanti pour "les éventuels dommages que le film créerait à l'image de l'Italie"... De quoi conforter les théories de la cinéaste sur l'absence de liberté d'expression dans son pays.

Le cas Berlusconi pourrait bien représenter un exemple, tel est l'avertissement que nous lance Sabina Guzzanti dans l'interview ci-dessous, réalisée à Paris le 12 octobre dernier.

 

Portrait et interview de Sabina Guzzanti, réalisatrice de Draquila

 

Filmsactu.com : Le film dénonce la corruption du gouvernement Berlusconi à travers sa gestion du tremblement de terre de l'Aquila. Avant de vous lancer dans l'enquête que l'on voit dans le film, qu'aviez-vous observé et que saviez-vous de la Protection Civile* ?

Sabina Guzzanti : Rien. Bien sûr, j'ai toujours observé Berlusconi, mais pour ce qui est du tremblement de terre, je ne savais rien, pas même sur le rôle de la Protection Civile. Je regardais la télévision et je me disais, justement, que le gouvernement agissait bien, pour une fois. Puis, j'ai entendu des histoires bizarres sur ce qui se passait là-bas. J'ai voulu aller vérifier par moi-même. Lorsque nous sommes partis, nous n'étions que trois. Et tout de suite, en posant deux ou trois questions, j'ai découvert que la Protection Civile était tout autre chose que ce que l'opinion publique, et donc moi-même, pensions. On se doute bien que si j'obtenais des réponses auprès des journalistes locaux alors que les grands journaux n'en parlaient même pas, cela signifiait qu'ils ne voulaient pas le faire.

 

Comment expliquez-vous ce secret autour de la Protection Civile ?

J'aborde un peu ce sujet dans le film. La Protection Civile est une organisation très, très puissante. C'est aussi une organisation qui convient à beaucoup de monde. Justement, l'opposition a toujours eu peur de prendre des positions impopulaires. Il faut savoir qu'avant la sortie du film, Bertolaso était plus populaire que le Pape lui-même ! (ndlr : Guido Bertolaso**, voir note en bas de page). Il apparaissait toujours dans les journaux et à la télévision comme un héros : dès que quelque chose n'allait pas, il arrivait sur place et réglait le problème comme Jack Bauer. Je suppose que les journaux d'opposition avaient peur de détruire cette image-là et de se faire des ennemis. Evidemment, dans les faits, il est difficile de dire exactement pourquoi ils n'ont rien dit.

 

Portrait et interview de Sabina Guzzanti, réalisatrice de Draquila

 

Dans votre film, l'opposition donne l'impression d'être particulièrement passive, alors que cela aurait aussi été son rôle de dénoncer ces agissements...

L'opposition italienne est faible. Et elle s'affaiblit d'années en années. C'est une très longue histoire et c'est un peu comme ce qui se passe ici en France, avec le Parti Socialiste, ou même en Grande-Bretagne. Il n'y a pas d'opposition forte. C'est une situation qui est grave d'un point de vue démocratique. Mais ce qui est encore plus grave en Italie, c'est que les gens votent Berlusconi par défaut, parce qu'ils savent que l'opposition ne sera pas à la hauteur. Ils savent qu'elle sera incapable de gouverner et de prendre des décisions.

 

Outre la faiblesse de l'opposition, quelles sont les armes de Berlusconi pour se faire élire ?

Contrôler tous les moyens d'information, tout simplement. Dans le film, on voit très bien quel est le niveau de mystification créé par la télévision. Si vous regardez la télévision italienne, il y a d'abord un fait que vous pouvez voir, et puis il y a la version racontée par la télévision. Tout cela repose sur une science de la communication très poussée et novatrice. Les études sur la communication développées par les grandes sociétés de marketing forment un savoir qui est inconnu de la plupart des gens. On peut presque parler de savoir ésotérique, puisque c'est quelque chose de nouveau. Nous en connaissons quelques fragments mais en réalité, tout cela est très avancé, développé et affiné.

 

Portrait et interview de Sabina Guzzanti, réalisatrice de Draquila

 

Le mot "dictature" est prononcé dans le film. Pensez-vous que cela concerne uniquement l'Italie ou, plus généralement dans le monde occidental, sommes-nous en train d'assister à l'émergence d'une nouvelle forme de dictature qui reposerait sur une apathie du peuple ?

Oui, il y a beaucoup d'exemples qui font penser au cas italien. Si l'on regarde les documentaires d'Adam Curtis de la BBC, ils racontent comment s'est développée cette science de la manipulation des masses. D'autre part, ce qui se passe actuellement en Italie est effectivement un modèle pour d'autres démocraties. Nous parlons d'ailleurs de destruction de la Démocratie. La politique du Président Sarkozy, par exemple, s'inspire de manière évidente de celle de Berlusconi. De même, quand on voit l'utilisation de la télévision par Poutine, elle s'inspire de l'utilisation de la télévision par Berlusconi. C'est effectivement une façon de gérer la politique qui est en train de se répandre. Mais au-delà du contrôle médiatique, ce système, et tout particulièrement celui de Berlusconi, repose en partie sur une économie illégale. Il s'agit pour eux de vider de leur sens toutes les institutions démocratiques et de légaliser tout ce qui est illégal, comme les agissements de la Protection Civile en Italie dans l'Aquila. Je pense que la crise de la Démocratie concerne tout l'Occident. Et la réponse de Berlusconi à cette crise est une réponse dangereuse mais facilement exportable.


Il y a dans le film des visions qui font très peur, notamment ces victimes du tremblement de terre qui se retrouvent confinés dans des cités dortoirs, où rien ne leur appartient. On se croirait presque dans 1984 ! (rires) Ce genre de choses risque-t-il de se répandre ?

C'est déjà en cours. C'est déjà en train de se répandre. Mais j'espère qu'à l'étranger, on va commencer à analyser le phénomène Berlusconi avec beaucoup plus de sérieux que ce qui a été fait jusqu'à présent. Il est toujours représenté dans les autres pays sous son aspect folklorique, comme un idiot ou quelqu'un qui fait des blagues douteuses et de mauvais goût. Mais dans les faits, c'est vraiment quelqu'un de dangereux. Son activité politique et le fait qu'il concentre autant de pouvoirs lui permettent de construire des liens avec l'étranger très forts et dangereux.

 

Portrait et interview de Sabina Guzzanti, réalisatrice de Draquila

 

Aujourd'hui en France (ndlr : le 12 octobre 2010, date de l'interview), c'est une journée un peu spéciale puisque l'on manifeste pour les retraites. Avez-vous une opinion à ce sujet à partager ?

Ce que j'en dis, c'est qu'il est important qu'il y ait ce type de manifestation. Mais généralement, on observe surtout cette réaction pour tout ce qui concerne le Welfare. En revanche, il est rare de voir ce type de soulèvement concernant les principes même de la Démocratie. Les gens ne voient pas très bien le lien entre les principes démocratiques et leur quotidien. Ils se mobilisent peu pour des choses qui leur semblent abstraites, alors qu'elles sont fondamentales.

 

D'autre part, on a l'impression que dans ce genre de cas, comme la question des retraites en France, le gouvernement avait prévu ce type de réaction, que cela faisait partie du plan. Peut-être que, pendant ce temps-là, des lois importantes passent en catimini...

On n'a pas confiance ! En Italie aussi, le premier gouvernement Berlusconi a encaissé les retraites. Il est même tombé à cause de cela. Berlusconi était tombé suite à une énorme manifestation. Mais il est revenu encore plus fort, encore plus puissant qu'avant. Les gens manifestent pour ces questions alors que les principes même de la liberté d'expression ou du droit à l'information, qui constituent les principes fondamentaux de la Démocratie, mériteraient beaucoup plus de mobilisation qu'il n'y en a actuellement. A partir de ces principes, on fait tout. Si on nous enlève ces droits-là, on ne peut plus rien faire.

 

Propos recueillis par Elodie Leroy

Le 12 octobre 2010

 

 

* Protection Civile (Protezione civile nazionale) : service de secours dont le but est l'assistance à la population.

 

** Guido Bertolaso, directeur du département de la Protection civile : érigé en héros suite à sa gestion du tremblement de terre de l'Aquila, au point d'être surnommé "Superman" et de se voir décerner la légion d'honneur en France, Guido Bertolaso a été mis en examen pour corruption en février 2010 à la veille des Régionales, au moment où Berlusconi s'apprêtait à le nommer ministre.

 

 







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