Love and Bruises
Le 14/09/2011 à 16:21Par Assia Hamdi
Critique LOVE AND BRUISES
Interdit de tourner en Chine depuis Une jeunesse chinoise (2006), Lou Ye a choisi de transposer son histoire en France. Le film a été présenté en ouverture des Venice days, l’équivalent de la Quinzaine des Réalisateurs pour la Mostra de Venise. En choisissant d’adapter le roman de Jie Liu-Falin, Fleur, le réalisateur Lou Ye reprend la thématique de l’obsession amoureuse qu'il a évoquée dans Nuit d’ivresse printanière. Cette fois-ci, le cinéaste nous peint l’histoire d’amour de Mathieu et Hua, une relation passionnelle mais destructrice. Hua (Corinne Yam) est une jeune pékinoise de 28 ans exilée à Paris le temps de ses études. Elle y rencontre Mathieu (Tahar Rahim) de retour après avoir crevé l'écran dans Un prophète. Leur rencontre va se transformer en une passion brutale, gauche, empreinte de blessures.
Hua signifie Fleur en chinois. On devine dès le début un personnage fané. Elle erre dans le Paris populaire, juste après s’être fait froidement larguée par son amant, incarné par Patrick Mille. Le visage pâle, la chevelure ébouriffée, quasiment prête à accorder sa confiance à n’importe quel passant, elle tombe sur Mathieu, banlieusard de 25 ans, ours mal léché qui l'apprivoise très rapidement. Fidèle au titre du film, leur rencontre intervient comme un coup violent et ce sentiment ne nous quitte pas tout au long du long-métrage. D'ailleurs, le soir de leur rencontre, Hua se fait violer par Mathieu dans une rue sombre de Paris, un viol consenti qui a le mérite de donner la tonalité du film. Car finalement, la relation entre Mathieu et Hua n'est qu'un attachement destructeur approuvé. Cette passion charnelle ne se ressent pas vraiment lors des scènes où les deux personnages font l’amour. Les plans serrés font écho aux mots très durs et à la violence de Matthieu, qui semble aussi paumé que Hua. Sur le point de sauter par la fenêtre lorsque cette dernière souhaite se séparer de lui, Mathieu est un personnage sans but précis. Ouvrier sur les marchés parisiens, originaire d'une famille pauvre de mineurs du Pas-de-Calais, il est aigri et maladroit. Il est intéressant de noter que c'est Mathieu qui tombe d'abord amoureux de Hua. Au début, il semble assez menaçant, et son personnage évolue au fil du film : on comprend vite sa fragilité et le fait qu'il ne saisit pas toujours la réelle cause de ses réactions. Il est de ces hommes-là, obsédés par leur jalousie. Il en vient à tester la fidélité de sa compagne en l'offrant à son pote beauf et pervers, Giovanni, interprété par Jalil Lespert. Elle se laisse faire tout au long du film, comme si cela devenait une fatalité mais aussi un désir d'être aimée de cette manière. On en vient même à se demander pourquoi la jeune femme suit un cours sur le féminisme à la fac et accepte dans le même temps de se faire traiter de "salope" par Giovanni. "Bitch" était d'ailleurs le titre originel du film.
Ceux qui pensaient découvrir la souffrance sentimentale, morale, découvrent des personnages qui aiment se faire du mal et qu'ils sont ensemble uniquement pour souffrir.
La faute de Lou Ye c’est peut-être simplement d’avoir cherché à raconter une passion destructrice mais en omettant le relationnel. Il n'y a pas d'alchimie réelle entre les deux acteurs, aussi talentueux soient-ils, alchimie indispensable au vu de l'intrigue de base. Les dialogues sont assez plats, vulgaires, sans poésie, et les deux personnages communiquent peu, si ce n'est par le regard. Niveau environnement, les amoureux de la capitale seront déçus puisque Lou Ye s'est réellement éloigné du Paris de l'amour, de l'image clichée qu'ont les touristes de la capitale. Le cinéaste nous offre une vision assez sombre de la ville, bien que plus réaliste. Plutôt que de filmer de pittoresques ruelles de la capitale, Lou Ye préfère montrer les trottoirs insalubres des quartiers populaires et nous offrir des plans larges sur les voies ferroviaires des trains de banlieue.
Love and Bruises est un film qui secoue. Ce qu'il y a de mieux dans ce long-métrage, c'est peut-être le mystère qu'apporte les deux protagonistes principaux. On s'attache assez facilement à Mathieu et Hua alors qu'on ne sait pas grand-chose de leur vécu sentimental. Ils ressemblent un peu à ces couples qui existent alors qu'ils n'ont aucun point commun si ce n'est celui d'être aussi vulnérable l'un que l'autre. Les préjugés sur cet amour destructeur et loin d'une vision rêvée de l'idylle s'affaissent lorsqu'on comprend que leur peur de la solitude les pousse à agir de la sorte. Hua et Mathieu sont des quidams dont on ne sait ni les intentions, ni les blessures. Ce sont des victimes de leur passé, un passé qu'on ne découvre jamais.