Etrange Festival 2011 : Xavier Gens nous dit tout sur The Divide
Le 03/09/2011 à 10:40Par Michèle Bori
The Divide est attendu, très attendu. Plus de deux ans après la sortie de Frontière(s) et d'Hitman, beaucoup attendaient Xavier Gens au tournant. Allait-il persister dans "l'horreur à la française" ? Succomberait-il à nouveau aux sirènes d'Hollywood ? Ou se tournerait-il vers un projet ambitieux, comme Vanikoro, un film d'aventure épique tourné en langue anglaise, mais avec des fonds français. Aucun des trois en fait. La production de Vanikoro, qui devait se faire avec La Petite Reine (la société de production de Thomas Langmann), s'est arrêtée pour divergences artistiques. Le projet City of Shadows (un thriller fantastico-policier sur la cour des miracles du XVIIe siècle) est quant à lui tombé aux oubliettes. On pensait alors que Xavier Gens se dirigeait vers une carrière heurtée, meurtrie par une succession de films perdus dans le development hell... Un peu comme son presque homonyme Christophe Gans. Mais c'était sans compter sur la détermination du bonhomme. Gens ne mettra donc pas longtemps avant de rebondir. Et pour son troisième film, il ira là où l'on ne l'attendait pas forcément. The Divide est en effet un huis-clos tendu, mi-psycho, mi-SF, sorte de croisement entre Sa majesté des mouches (Lord of the Flies, un roman de l'auteur anglais William Golding) et Panic Room de David Fincher. Nous l'avons vu. Nous avons aimé. Mais avant de vous en parler de manière plus subjective, nous avons souhaité laisser la parole à son réalisateur, qui a décidé de lever le voile sur son troisième film. Découvrez l'interview de Xavier Gens pour The Divide.
Petit rappel du synopsis de The Divide : Une explosion cataclysmique ravage la ville de New York. Huit personnes se réfugient dans le sous-sol de leur immeuble, une sorte de refuge aménagé depuis toujours par un propriétaire paranoïaque. A peine ont-ils le temps de comprendre ce qui leur arrive que des hommes armés et vêtus de combinaisons anticontamination entrent dans l’abri et se mettent à faire feu sur ses occupants. Après avoir repoussé l’ennemi à l’extérieur du refuge et subi de graves blessures, les rescapés vont maintenant vivre un véritable enfer... Voilà comment commence The Divide. Comme entrée en matière, on a déjà vu moins percutant. En une poignée de séquences, Xavier Gens nous agrippe par le col et nous lâche dans cet abri de fortune comme on lâche un poussin dans une fosse à lions. "Nous ne voulions d'une entrée en matière bateau" avoue le réalisateur. Pour le coup, c'est réussi. Mais son entrée en matière à lui, comment s'est-elle déroulée ?
"Nous ne voulions pas faire de The Divide un énième film catastrophe mainstream."
"Un jour, j'ai reçu un script intitulé Shelter, provenant de producteurs allemands. Une histoire d'huis-clos, avec des personnages enfermés dans une cave. Je l'ai lu et je l'ai trouvé intéressant. Mais il manquait quelque chose. J'ai rencontré les producteurs et leur ai proposé quelques idées. Entre autres : une approche un peu plus SF et plus burnée." Gens retravaille alors le script avec Yannick Dahan (ndla : l'un des réalisateurs de La Horde) et un auteur australien, Eron Sheean. "L'idée était vraiment de ne pas offrir un énième film catastrophe mainstream, comme on en voit à Hollywood. Par exemple, nous souhaitions entrer dans le vif du sujet le plus rapidement possible, poser les enjeux dramatiques du film dès le premier acte, puis de présenter les personnages de manière naturelle dans le deuxième acte. A travers des bribes de dialogues, des petits gestes du quotidien. L'histoire nous semblait plus fluide ainsi. Ca déroutera peut-être quelques spectateurs. Mais de mon point de vue, cela semblait moins laborieux que de commencer mon film par 20 minutes de base-story dans New-York ... Une chose qui m'aurait certainement été imposée si le film avait été produit par un studio !" Ils rendent donc un script qui plait aux producteurs. Ces derniers leur donnent alors le feu vert pour passer la seconde.
C'est alors que les premiers ennuis commencent. Au centre d'une polémique : le titre ! "Au début, le film s'intitulait Shelter. Mais il y a une comédie romantique gay norvégienne qui est sortie sous ce titre. Du coup, on a dû changer et on s'est dit que The Fallout pouvait être un bon titre." Sauf que voilà, Fallout, c'est aussi le titre d'un célèbre jeu vidéo, dont les ayant-droits ne voient pas d'un très bon œil la sortie d'un film portant presque le même nom. "Le jour même où on l'a annoncé, les gens de Fallout nous sont tombés dessus. Le fait que le film se déroule comme le jeu dans un univers post-apocalyptique les a dérangés. Comme ils veulent faire un film tiré du jeu, ils ne voulaient pas d'amalgame. Et pour trouver The Divide, ca nous a pris six mois." Six mois qui n'auront pas été inutiles, puisqu'il faut bien l'admettre : pour avoir découvert le film, nous pouvons vous assurer que ce titre prend un sens tout particulier.
"Nous avons bien essayé de trouver quelques partenaires français. Mais personne n'en a voulu..."
Une fois ce "détail" réglé, reste encore à trouver les financements nécessaires pour mener le projet à terme. Dès le départ, Xavier Gens et ses producteurs se décident à faire The Divide loin des studios Hollywoodiens. Pour beaucoup de réalisateurs français amoureux de l'entertainment, Hollywood apparait comme une sorte de terre promise où tous les rêves se réalisent. Xavier Gens, comme Tintin, a été en Amérique. Pour le compte de la Fox, il a tourné Hitman. Une expérience particulièrement douloureuse pour lui. "Le tournage était totalement déshumanisé. Je ne prenais aucun plaisir à tourner", nous expliquera-t-il. Avec Hitman, la Fox espère récolter 150 millions de dollars. Le film n'en rapportera que 100. Pour le studio, Xavier Gens est le responsable de cet échec, car il a livré un film pas assez "grand public". "Quand j'ai commencé à préparer Hitman, j'ai abordé le sujet de la violence. J'ai dit au producteur exécutif du film que j'avais en tête des références telles que les films de Paul Verhoeven, de Robocop par exemple et il m'a répondu : "je n'ai aucun débat avec la violence". Du coup, je pensais pouvoir y aller à fond. Et à la fin, on m'a dit que c'était trop violent. Aujourd'hui, je suis black-listé là-bas." Mais Gens sait que les Etats-Unis ne se limitent pas à Hollywood. "Ca a été un mal pour un bien. En faisant Hitman tel que je l'ai fait, j'ai pu rentrer en contact avec des gens qui, comme moi, pensent que l'on peut faire du cinéma américain non-formaté et loin des studios. Je me dis aujourd'hui que si j'avais fait le yes-man avec la Fox, je serais peut-être en train de faire un Wolverine tout lisse et tout gentil."
Bref, The Divide se fera dans l'indépendance la plus totale, ou ne se fera pas. Dès lors, pourquoi faire le film au Canada ? Pourquoi pas en France, où Gens dispose d'une certaine cote de popularité ? L'intéressé répond simplement, le sourire en coin : "Au départ, nous avons bien essayé de trouver quelques partenaires français. Mais personne n'en a voulu. Donc on a fait sans eux !" Ce n'est peut-être pas plus mal ainsi. Car Xavier Gens n'a pas oublié ce qu'il s'est passé sur Frontière(s), de sa frustration de ne pas avoir eu toutes les cartes en main lorsqu'il a tourné son premier film. De ne pas avoir pu filmer tout ce qu'il avait en tête. Sans se plaindre - mais avec une pointe de regret néanmoins - il nous parle par exemple de cette première séquence située en 1940 dans laquelle on découvrait le patriarche nazi plus jeune. De cette scène avant le casse de la banque. Puis, du casse de la banque, qui n'apparaît pas à l'écran. Et pour cause : aucune de ces scènes n'ont été tournées. "Au final, on m'a fait couper 40 séquences du scénario de base, parce que c'était trop long, trop cher. Forcément, il y a des attitudes de personnages qui paraissent étranges, non justifiées, dans le film tel qu'il est aujourd'hui. C'est inévitable quand on ne tourne que 79 pages sur 115 au départ ..."
Sur The Divide, on ne l'y prendra pas. "Mon objectif premier avec ce film était de parvenir à gérer le huis-clos. Que l'on puisse passer 1h40 dans un endroit fermé sans s'ennuyer. Mais j'avoue que très égoïstement, je voulais aussi faire un film qui me ressemble. C'est un peu une revanche par rapport à mes deux premiers films." Gens s'entoure donc de deux producteurs de confiance, qui lui laissent carte blanche pour faire son film. "Je pensais devoir batailler pour imposer mes choix. Mais compte-tenu de la nature du film et de son indépendance, mes producteurs m'ont vraiment laissé filmer le film comme je le voulais. Par exemple, je voulais une fin à la Carpenter, et je l'ai eu. Je voulais éviter la shaky-cam, et j'ai évité la shaky-cam." Xavier aura également les mains libres pour boucler son casting. Les premiers à lui dire oui seront Rosanna Arquette, Seann William Scott, Melissa George et Robert Patrick. Pareil pour son équipe : il collaborera donc une nouvelle fois avec son chef opérateur Laurent Barès et son monteur Carlo Rizzo. Et en ce qui concerne la direction artistique, il n'hésite pas à faire appel à l'un des cadors du moment, Tony Noble. "Dès le départ, je me suis dit qu'il fallait que les décors soient parfaits. Je venais de voir Moon de Duncan Jones, dans lequel j'avais trouvé la direction artistique était particulièrement réussie. On a contact Tony Noble et il a accepté !"
Voilà donc l'équipe du film au grand complet, réunie dans son camp de base à Winnipeg au Canada. Les décors se construisent, et les comédiens arrivent. Et là, c'est le drame. Les financiers se retirent, convaincus que Xavier et ses producteurs ne pourront pas tourner le film en 31 jours, comme convenu sur le plan de travail. La production est au point mort. Le tournage est annulé. Plusieurs comédiens, pris par d'autres engagements, quittent l'aventure à contrecœur. Xavier retourne à Los Angeles, dans l'espoir de boucler un nouveau casting. En quelques semaines, Milo Ventimiglia, Lauren German, Ashton Holmes, Courtney B. Vance et Michael Biehn rejoignent l'équipe. Mais le film n'est toujours pas sûr de se faire. Las. Après avoir frappé à toutes les portes, le projet semble ne pas pouvoir se monter. Xavier se décide à rentrer à Paris... Comble de malchance, il se retrouve bloqué aux Etats-Unis le jour de son départ pour la France à cause d'un volcan islandais au nom imprononçable. Les galères se multiplient pour le réalisateur...
"Les producteurs croyaient tellement au film qu'ils me poussaient à tourner plus, à rajouter des scènes pour développer les personnages."
Mais il faut croire que The Divide est né sous une bonne étoile. "Le jour de mon anniversaire, j'ai reçu un appel d'un des stagiaires régie du film, qui me dit que ses parents peuvent peut-être faire quelque chose pour le film." Les parents en question sont un couple d'assureurs à Winnipeg qui semblent tenir à ce que leur fils ait un job de printemps. En un coup de fil, ils acceptent d'avancer les deux millions de dollars manquant pour boucler le budget. Et tout ça en 24h ! The Divide est à nouveau sur les rails. Quinze jours après, Xavier et son équipe donnent le premier clap du film. "Sauf que j'ai passé un des pires moments de ma vie quand ces fameux parents sont venus faire un petit tour sur plateau. C'était le jour où l'on tournait une scène assez déviante, avec un homme habillé en femme qui demande à un autre personnage de lui faire une gâterie. C'est une scène vraiment che-lou. Sincèrement je ne savais plus où me mettre." Un moindre mal, surtout pour le fameux stagiaire, passé du statut de régisseur à celui de producteur.
Le film se tournera dans la continuité. Contrairement à ce qu'il s'est passé sur Frontière(s), le script passera de 90 pages à 117 pages. "Les producteurs croyaient tellement au film qu'ils me poussaient à tourner plus, à rajouter des scènes pour développer les personnages. Pareil pour les comédiens, qui proposaient des idées en permanence." Xavier Gens nous avoue alors que l'un de ses challenges sur The Divide concernait le jeu des acteurs. Ces derniers seront au final l'une de ses nombreuses satisfactions. "C'était un vrai plaisir de tourner avec des comédiens qui ont autant d'idées. Michael Eklund par exemple, est un vrai fou. Il m'a fait un nombre de propositions incroyable. Au final, je crois qu'on en a gardé que 30%..." Quant à savoir s'il a été impressionné par les deux monstres que sont Rosanna Arquette et Michael Biehn, la réponse est évidente. "La première fois que j'ai eu Rosanna et Michael devant ma caméra, ca m'a vraiment fait bizarre. Je regardais leurs films quand j'avais 12 ans ! Biehn, c'était mon héros. Le jour où ont a fait les essais caméra, il a commencé à faire ses mimiques badass façon Caporal Hicks (ndla : son personnage dans Aliens de James Cameron). J'étais comme un gamin. Puis, j'ai appris à le connaître. Michael [Biehn] est un homme très touchant. Il a été super avec les jeunes acteurs, en particulier avec Ivan Gonzales, qui joue le petit français du film. Il lui donnait plein de conseils, sur les dialogues, ou sur la manière de se positionner par rapport à la caméra. Aujourd'hui, les gens disent bêtement que Biehn est fini, qu'il n'est plus un bon comédien. C'est juste parce qu'on ne lui en donne pas l'occasion. Il est habitué à des séries Z tournées en deux semaines, dans lesquelles il n'a pas le temps de jouer..."
Même satisfaction du côté de Rosanna Arquette, qui avouera à la fin du tournage qu'elle ne s'était pas autant éclatée depuis Crash (ndla : de David Cronenberg). "En improvisation, c'est une tueuse à gage ! Je ne comprends pas pourquoi elle ne tourne pas plus". Improvisation. Le terme peut sembler bizarre vu le projet. Mais Xavier Gens tenait réellement à ouvrir le script pour en faire un terrain de jeu pour les acteurs. "Certaines scènes étaient vraiment basiques sur le papier, et elles ont pris une dimension toute autre grâce à cette liberté." Il y aura donc eu beaucoup d'impro durant le tournage de The Divide. Et comme souvent dans ces cas-là, les groupes que l'on voit à l'écran se sont un peu recréés dans la vie. "Michael Biehn et Rosanna Arquette ont commencé à se mettre un peu à l'écart des autres, comme pour reproduire sur le plateau ce qu'il se passe dans le film. C'était très drôle à voir. Lauren German et Milo Ventimiglia, de leur côté, se sont vraiment cherchés. Il y avait vraiment une tension qui existait entre ces deux là. Ça a même conduit à un accident, car Milo a blessé Lauren avec un cutter en allant trop loin dans une scène. J'ai gardé le plan au montage !" Autre preuve de cet investissement : les comédiens du film suivront un régime drastique pendant toute la durée du tournage. Ils perdront 10 à 15 kilos chacun. Une chose possible grâce à deux choses. 1/ La qualité des comédiens. 2/ Le tournage, qui s'est vraiment fait "dans le calme et la sérénité. Ça m'a rappelé par moment l'ambiance qu'il y avait sur Frontière(s). Sauf que durant le tournage de ce dernier, il y avait parfois un peu de tension, notamment lorsqu'on devait tourner des scènes à l'arrache sans autorisations. Là, on était entre nous, dans un studio. C'est un luxe pour tout l'équipe, et surtout pour ceux qui jouent." Il semblerait également que cette sérénité se soit poursuivie jusqu'au montage du film, qui selon le réalisateur "s'est fait un peu à la cool". Le monteur Carlo Rizzo aurait ainsi installé une station de montage dans l'arrière-boutique du salon de coiffure de son père, à Odéon. "On montait le film au milieu de petites dames qui faisaient leur chignon. C'est un exemple parmi tant d'autres de l'ambiance décontractée dans laquelle a été fait The Divide." Au final, Xavier Gens se souviendra certainement de The Divide comme "une grande expérience humaine, qui m'a permis de découvrir des choses à côté desquelles j'étais totalement passé sur Hitman."
"The Divide devrait sortir en France fin 2011, ou début 2012."
La question que tout le monde se pose désormais est : quand est-ce-que nous pourrons voir The Divide sur les écrans ? Bonne nouvelle, quelques heures avant de réaliser cet entretien, Xavier Gens a reçu un coup de téléphone. The Divide sera distribué en France par BAC Films (et aux Etats-Unis par Anchor Bay). Il devrait débarquer sur nos écrans fin 2011, ou début 2012. "L'idée, c'est de le montrer d'abord dans les festivals de genre : Sitgès, Gerardmer, etc. Et après seulement, le sortir en salle." Une sortie qu'il appréhende ? "Je suis moins stressé aujourd'hui qu'à l'époque de la sortie de mes précédents films car je n'ai aucun regret par rapport à ce qui est à l'écran. Tous les choix sont les miens. Que ce soit sur Frontière(s) ou Hitman, je me suis retrouvé à devoir me battre pour mes idées. Et toutes ne sont pas passées. The Divide en revanche, je le revendique à 200%." Et quel que soit l'accueil que réservera le public à The Divide, une chose est sûre dans l'esprit de Xavier Gens : "Avant de repartir sur un film où je n'aurais pas ma liberté artistique, il va se passer un petit bout de temps !"
Nota : Pour ceux qui se demandent ce que Xavier Gens nous prépare pour la suite, sachez simplement qu'outre Vanikoro – qui est en réécriture en Australie, sous la plume de John Collee (Master and Commander, Happy Feet) – le réalisateur travaille actuellement sur deux projets d'envergure. "J'ai plusieurs projets en préparation dont un avec Jason Shuman (ndla : qui a produit Bangkok Dangerous) et un autre que je développe avec Grégoire Gensollen, avec qui j'ai monté une société de production qui s'appelle Ink Connection." Nous vous donnerons des informations supplémentaires très prochainement.